Société

Kabyles, marabouts, quelle différence ?

3 villages kabyles, 3 catégories de femmes, 3 destins

Trois amis, de trois villages différents se rencontrent dans un café au chef-lieu de la commune et parlent ouvertement des femmes de leurs villages respectifs. Il y a le Kabyle marabout Belaid, et deux autres Kabyles, Ferhat et Moussa.

Ferhat : Toutes mes félicitations pour ton mariage Moussa. Il était temps que tu te cases mon ami. Tu as trop attendu. A 36 ans, tu es déjà à la moitié de ta vie. Mais, si tu permets, pourquoi as-tu choisi une fille de mon village au lieu du tien sachant que les filles célibataires de ton village sont aussi très nombreuses et, surtout, plus instruites ? Je ne comprends pas.

Moussa : C’est là justement le problème cher ami, trop instruites, ha ha ha ha ! Jamais je ne me marierai avec une fille de mon village ! Elles se considèrent comme supérieures à nous. Elles passent toute leur vie à rêver d’épouser des cadres qui les rejettent eux aussi. Même les à peine lettrées ne pensent qu’à cela. Conséquences, aujourd’hui, nombreuses sont celles restées célibataires à quarante ans, voire même à cinquante et ça continue. C’est vraiment incroyable !

Le malheur est qu’elles ne savent même pas rouler le couscous traditionnel. Une fille qui a horreur même d’éviscérer et de couper les têtes des sardines ne méritent pas de se marier. Tout ce qu’elles savent faire, c’est éplucher des pommes de terre pour préparer des frites. Quant à accepter d’aller ramasser des olives dans nos champs, tu peux toujours courir avec tullas tadart iw[1], surtout quand il fait très froid. Des fainéantes qui passent toutes leurs journées à se maquiller et à vadrouiller sans raison dans le village et la commune. Le plus surprenant dans tout cela est qu’elles veulent se mettre sur le même pied d’égalité que nous les hommes. Certaines, surtout celles qui sont déjà mariées, sont même allées jusqu’à traduire leurs propres frères en justice pour avoir leur part d’héritage, maisons et terrains ! Où va-t-on comme ça mon ami ? Pourtant, tout le monde consent que la femme kabyle n’hérite pas de ses parents.

Voilà pourquoi j’ai choisi une fille de ton village. Vous avez de la chance que les pères blancs ne soient pas passés par chez vous mon ami ! Vos femmes, et tu le sais bien, sont de vraies Kabyles paysannes à l’ancienne. Elles ne se plaignent jamais. Elles ne disent jamais non à leurs maris. Toujours passives et obéissantes. Imagine-toi, et tu le sais bien d’ailleurs, que certaines ont accepté de se marier même avec des dépressifs de chez nous. Quelles soient instruites ou pas, elles excellent toutes dans le roulement du couscous, la confection traditionnelle et la broderie berbère. Je suis convaincu que c’est le plus important pour les filles kabyles et un plus pour la famille. L’essentiel pour elles est de trouver un mari et d’avoir des enfants pour les élever, quitte, pour les diplômées, à ne jamais travailler par la suite.

Pour celles qui n’ont que des filles, elles ne s’arrêtent d’accoucher que le jour où elles tombent sur un bon numéro, un beau garçon. Le travail et les sorties ne sont pas une priorité pour elles. Les femmes de ton village sont de vraies femmes au foyer, de sacrées bosseuses dans les champs et prêtes à se sacrifier toute leur vie pour leur famille. Avoir une femme kabyle pareille à la maison mon ami, c’est s’assurer, à jamais, son importance et son statut d’homme Monsieur. La preuve, plus de quarante-cinq filles de ton village sont déjà mariées au nôtre et ça continue. Tout le monde trouve son compte dans ton village, même des chômeurs.

Ferhat : C’est vrai, Moussa, que les pères blancs ne sont pas passés par mon village. Par contre, je comprends mieux maintenant pourquoi vos filles traitent, par réaction, notre village « des urgences » ! Comprendre par-là que ceux des vôtres qui épousent nos filles sont tous malades. Remarque, c’est normal, c’est de bonne guerre.

Et toi Bélaid, qu’est-ce qui se passe dans ton village ? C’est quoi toutes ces affiches placardées partout, dans les cafés, sur les murs, sur la devanture des magasins ? Est-ce vrai que la voie est maintenant libre à tout jeune kabyle qui veut épouser une fille de votre village ? J’ai même entendu l’imam de la commune, vendredi passé, crier la nouvelle au haut-parleur du minaret de la mosquée. Une véritable révolution cher ami !

Bélaid : Regarde, je t’explique, c’est très simple : ma mère est Kabyle, moi, son fils, j’ai épousé une Kabyle et mes sœurs n’ont pas le droit d’épouser des Kabyles ! Tu comprends quelque chose toi à cette absurdité maraboutique bien de chez nous ? Il est vrai que beaucoup de nos familles se marient entre elles, mais une bonne partie de nos jeunes garçons épousent aussi des filles kabyles et cette situation a créé un déséquilibre des sexes au village.

Cette situation faite à nos femmes depuis la nuit des temps est à l’origine d’un fléau potentiellement très explosif aujourd’hui. Nos parents et grands-parents ont détruit la vie de centaines de filles de notre village dont beaucoup sont restées célibataires toute leur vie. Un crime historique mon ami ! À ton avis, que fait une fille qui sait qu’elle ne se marierait jamais ? Eh bien, elle crée des problèmes au village sous l’effet d’excès de pulsions non assouvies. C’est pour cette raison que notre village commence à s’ouvrir maintenant aux autres villages kabyles.

Ferhat : Mais pourquoi les marabouts n’acceptent pas de donner leurs filles aux Kabyles ? Pourtant, nous avons les mêmes traditions, nous parlons la même langue,… en somme, nous nous ressemblons à l’identique. C’est vraiment un crime comme tu le dis !

Bélaid : Chez nous, cher ami, beaucoup se prennent toujours pour des descendants du prophète, c’est-à-dire, d’origine arabe. Et le sang d’une famille sainte ne doit pas se mélanger avec celui des profanes kabyles. De la connerie tout ça ! Mais, je n’ai jamais compris cette absurdité toute religieuse de chez nous qui fait que tout est lié à la femme ! C’est à la limite un défoulement machiste ! En effet, pourquoi, contrairement à nos « zizi », nos hommes marabouts, nos jeunes filles, nos « lalla », n’ont-elles pas le droit d’épouser des jeunes garçons kabyles alors que, pour certaines, leurs propres mères même sont originaires des villages kabyles ?

Le comble, mon ami, est que, malgré toute la problématique sociologique que cette situation génère, ce ne sont pas toutes nos familles qui sont prêtes à s’ouvrir aux Kabyles. Au nom d’une tradition d’un autre temps et que rien ne justifie maintenant, même pas avant d’ailleurs, elles persistent dans la même dérive sacrificielle de nos filles.

L’autre village maraboutique, situé un peu plus bas du nôtre, ne veut même pas entendre parler de cette ouverture. Ils nous ont même fait le reproche d’avoir trahi le serment qui fait qu’un vrai marabout ne doit jamais se rabaisser en acceptant un prétendant kabyle. Au même moment, leurs filles célibataires, très nombreuses elles aussi, agressent carrément des jeunes garçons tellement elles en ont marre… C’est vraiment criminel ce que nous faisons subir à nos filles.

C’est pour toutes ces raisons et bien d’autres que des jeunes de notre village, très épris du sort réservé à nos sœurs, se sont légués et ont eu le courage de poser cette problématique à la réunion du village. Le débat était très houleux. Cela n’a pas été facile, mais il y a un début à tout.

Ferhat : Et si j’envoie ma mère pour demander la main de ta sœur Safia pour moi, m’accepterez-vous dans votre famille ?

Bélaid : Je sais qu’il y a quelque chose entre toi et ma sœur. Tu seras le bienvenu ay adhegal ! (gendre). Pour moi, il n’y a aucune différence entre nous. Nous sommes tous des Kabyles.

Par Timecriwect

Notes

[1] les femmes de mon village

Cet article publié précédemment le 23 juin 2011 est toujours d’actualité.

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