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Ahmed Oumeri, bandit d’honneur

Chaque mercredi, jour de marché, des présidents de centre viennent s’informer de l’état d’avancement de leurs cahiers d’état civil. Au passage, ils nous régalent d’un plateau de thé à la menthe. La plupart ont troqué le traditionnel burnous contre un costume européen pour aller présenter à l’administrateur un compte rendu de gestion, solliciter une subvention ou de simples conseils.

La présence de bandits d’honneur dans sa région inquiète le président des Ouadhias. Ahmed Oumeri, le plus célèbre, a pris le maquis après avoir exécuté le séducteur de sa sœur. Le fusil au bras, il dépouille les voyageurs isolés. Un jour, Iouadarène, l’un de ses acolytes, l’interpella :

« – Tu t’en prends à de pauvres hères. Aux yeux de la population, ça ne te grandit pas.
– Il faut bien que je vive. J’ai dû abandonner mon atelier de ferblantier.
– Attaque-toi aux riches, aux caïds, aux colons. Tu passeras pour un justicier. »

Oumeri se mit alors à écumer la région comprise entre Dra-el-Mizan et les Issers. Il surgissait sur le passage d’un notable, le mettait en joue, le délestait de son argent. Un beau matin, des gendarmes lui tendirent une embuscade. Prévenu par un berger, il les prit à revers : « C’est moi que vous cherchez ? Je suis bien Oumeri ! » L’un d’entre eux, un Kabyle, se détacha du groupe. Le hors-la-loi l’interpella : « Chien couchant, arrête de faire du zèle ! » Les gendarmes battirent en retraite.

Colportée de marché en marché, de café maure en café maure, cette anecdote fit le tour de la région. La légende du bandit d’honneur prit corps. Les mères berçaient leurs bébés en fredonnant :

« Voici venir Ahmed Oumeri. Il longe la rivière. Réjouissez-vous, mes sœurs ! Il y a encore des hommes d’honneur. »

Les autorités craignaient de voir l’exemple d’Oumeri faire tache d’huile. Un jeudi, jour de marché aux Issers, les gendarmes arrêtèrent Saïd Oumoussa, l’un de ses compagnons, et gardèrent secrète l’arrestation. Puis ils alimentèrent l’hebdomadaire parisien Détective en pseudo révélations sur la liaison d’Oumeri avec la belle Rosa, la femme du prisonnier. Le lieutenant de gendarmerie des Issers agita plusieurs coupures de l’hebdomadaire sous le nez du mari :

« Pendant que tu moisis dans ton cachot en attendant la guillotine, ton chef passe du bon temps avec ta femme. »

Une semaine plus tard :

« On t’élargit, tu venges ton honneur, on te donne un port d’arme et une licence de café maure. »

Un soir, Saïd Oumoussa, libéré, invita Oumeri à dîner. Il apporta un plat de couscous, ressortit pour rapporter la viande, revint et l’abattit de deux balles dans la tête.

Un matin, j’ai vu l’assassin, un échalas misérable, visage glabre, tête basse, front fuyant, se diriger vers le bureau de Chenoun pour y percevoir le salaire de sa félonie.

En 1949, Krim Belkacem, alors maquisard en Kabylie, me racontera sa rencontre avec Oumeri :

« Je lui ai expliqué la portée de notre lutte pour l’indépendance et je l’ai invité à rejoindre nos rangs. Il m’a répondu : « Vous autres, vous demandez des cotisations aux pauvres pour remplir les caisses de votre parti. Moi, l’argent des riches, je le distribue aux pauvres. Que chacun suive son chemin. »

Hocine Benhamza in L’Algérie assassinée, 2005

Précédemment mis en ligne en juin 2005.

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