Biographie

Comment Bélaïd At Ali occupe ses longues journées ?

Bélaïd At Ali écrit, des lettres de six à huit pages d’une écriture serrée, il « compose » ses souvenirs, il observe ses compagnons de misère :

Fais la grasse matinée et, au lit, je lis Témoignage Chrétien jusqu’à la soupe ; après quoi, retour au lit. Quelques bonnes cigarettes, quelques lignes de T.C. et re-sommeil. Oui, la vie de château ou de roi fainéant… Mais, c’est tout de même l’hôpital… Aujourd’hui, il y a du nouveau pour moi, j’ai été transféré d’une salle commune, où nous étions dix-huit, dans une petite chambre à deux lits où, pour le moment, je suis seul… Qui viendra me tenir compagnie ? J’en ai fait l’expérience : il semble difficile que deux hommes puissent vivre dans une telle proximité sans se chamailler, en venir parfois à la haine… Ce déménagement est une amabilité à mon égard de la part de la demoiselle qui s’occupe de nous. Elle n’avait pas été sans remarquer que cet isolement me ferait le plus grand plaisir et c’est d’autant plus gentil de sa part qu’il lui a suffi de sentir mon désir sans que j’aie eu à le lui dire. Comme j’ai remarqué, m’a-t-elle dit, que vous aimiez beaucoup écrire et lire… ici, vous serez « plus tranquille. » j’ai placé sur ma table un petit bouquet de fleurs cueillies dans le jardin et un numéro de Forge, pour faire… bureau. C’est est d’ici que j’espère vous envoyer mes chefs-d’œuvre… »

« … Ne croyez pas que je sois en train d’écrire pour écrire. Je suis en train de vivre des jours qui ne sont pas ordinaires… des jours dont je ne peux pas perdre une minute, car j’ai une maladie dont je sais assez par mes lectures… Vous allez rire. Ce matin, votre petit colis des quatre paquets de cigarettes Noralux m’a été apporté par une jeune demoiselle qui travaille là-bas, dans les bureaux. Elle a ouvert la porte de ma chambre pour demander « C’est bien vous, Monsieur Zehrar ? » (Belaïd avait réussi à se faire inscrire sous ce nom.) Alors, je me suis soulevé sur mon lit et, sans réfléchir, je n’ai trouvé à dire que « Ah, mademoiselle, ce sont des cigarettes ! Vous me sauvez la vie !… Je vous bénis ! » Voilà une expression que je n’avais jamais employée de ma vie – c’est sorti sans que je l’aie voulu, tout simplement – il faut croire que ce qui sort du cœur, comme on dit, n’a pas besoin d’être pensé. La pauvre fille en est devenue toute rouge, comme la fleur que j’ai là. Elle n’a pu que dire « Vous êtes bien, ici, tout seul… tranquille… Vous avez des fleurs… » Il est curieux que, dans de tels moments, quand on se sent plein de bons sentiments, l’on se trouve gêné, tandis que lorsqu’il s’agit de se dire des méchancetés… »

Bélaïd At Ali passe à l’Hôpital de Saint-Denis-du-Sig

« Figurez-vous que j’ai vieilli. Oui, je suis devenu un vieil homme : j’ai fait le saut, franchi la ligne. Oh ! ce n’est pas plus difficile que d’avaler une pilule : mes tempes ont blanchi depuis longtemps… depuis longtemps, je m’entends appeler chibani, mais je n’en tenais pas compte… Le premier jour où je suis arrivé ici, transféré d’Oran, Madame Pépita, qui dirige ce pavillon de dix contagieux, et qui est aussi la crème des femmes, a dit à Mlle Angèle : « Le vieux, vous le mettrez là » en désignant la meilleure place de la salle. J’ai occupé le lit en me disant que, ma foi, le métier de « vieux » a du bon. Depuis, je ne cherche pas à cacher ma bouche édentée quand il m’arrive de rire, ni à me redresser en marchant… »

 à suivre.

Précédemment mis en ligne en juillet 2005.

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