Femmes

La virginité à travers les âges

D’où vient qu’au cours des âges les hommes ont attaché tant de prix à la virginité ?

Aucun savant, à ma connaissance, n’a donné l’explication de cette énigme.

À mon avis, c’est parce que l’homme a été créé à la ressemblance de Dieu, et participe de son caractère. On voit, dans toutes les mythologies, que les dieux ont un penchant très marqué pour les vierges. Jupiter choisit presque toujours ses conquêtes parmi les nymphes que la main de l’homme n’a pas encore effleurées, et qui, selon les vers de La Fontaine,

« Au joli jeu d’amour ne savent A ni B. »

On comprend aisément la raison de cette préférence. Il serait humiliant, pour un dieu, de passer après un mortel. Une seule exception, – celle qui est destinée à confirmer la règle : le cas d’Alcmène, qui était une femme mariée.

Mariée, il est vrai, à un général.

Hormis cette femme de militaire, d’ailleurs laissée quasiment en friche par un époux occupé à d’autres travaux, le maître de l’Olympe ne daigna jamais honorer de ses faveurs une mortelle qui avait vu le loup. Bien mieux : sa prédilection va aux vertus particulièrement farouches, qu’il ne parvient à séduire qu’au prix de ruses parfois assez peu scrupuleuses.

Chacune de ces nymphes avait dû recevoir de sa mère des recommandations très rigoureuses : « Si tu rencontres, au bain ou dans les bois, un bel homme qui te fait du baratin, attention ! ma fille, il y a bien des chances pour que ce soit un satyre ! »

Mais, évidemment, l’innocente enfant n’avait pas de consignes quand il s’agissait d’un cygne – c’est ce qui perdit Léa – ou d’un taureau, comme il advint à la pauvre Europe.

Mettez-vous à leur place !

Quant à Danaé, son cas est assez spécial. Ses parents avaient menacé des pires sanctions si elle se donnait à un homme sans leur consentement. Mais ils n’avaient pas prévu que le séducteur se présenterait à elle sous les espèces d’une pluie d’or.

Comment résister à cela ?

Notons que, ce faisant, – avec un t, je vous prie, – Jupiter fut le premier des michés. Son stratagème amou­reux, en effet, fut souvent imité par les hommes, et l’on a vu dans l’histoire nombre de jeunes vierges qui, comme Danaé, succombèrent à ce lâche procédé de corruption. Je ne sais plus qui m’a dit que c’était encore arrivé tout récemment, je ne sais plus où.

Pour revenir à Jupiter, ce délicat ne s’accommodait pas plus d’un successeur que d’un devancier. Lorsqu’il avait abusé d’une de ses victimes, il la métamorphosait en ceci ou en cela, en vertu de son pouvoir discrétionnaire. C’est ainsi qu’Egîne fut changée en île ; qu’Europe se vît transformée en continent ; que Sémélé, pour avoir voulu con­templer son divin amant dans toute sa gloire, avec sa foudre en main, fut réduite en cendres.

Sort plus cruel encore, lo devînt vache.

Ces métamorphoses, fort heureusement, ne se voient plus guère de nos jours.

Il arrive qu’une vierge, abandonnée par un lâche subor­neur, se métamorphose en fontaine, mais jamais pour bien longtemps. Et il est très rare, vous avez dû le cons­tater, qu’une jeune fille devienne vache.

On dirait même, fait curieux, que le don de métamor­phose a peu à peu passé des mains de l’amant à celles de la maîtresse, qui s’amuse parfois à le faire tourner en bourrique.

Les temps ont changé…

Cet instinct de propriétaire que nous venons de décrire chez le plus inconstant des dieux, on le retrouve chez tous ses collègues : Apollon, Mercure, etc., à l’exception du seul Esculape, sur qui, d’ailleurs, ne court aucune légende scandaleuse, ce qui prouverait – s’il en était besoin, – que les médecins sont des gens sérieux, au surplus trop occupés par leurs doctes études pour s’amuser à la bagatelle.

Mais descendons de l’Olympe et voyons quel va être le comportement des simples humains devant le problème de la virginité. Pour parler un langage moins pédant, les hommes vont-ils préférer les vierges, ou les jeunes filles qui ne le sont plus ?

Comme je le laissais pressentir tout à l’heure, les hommes se conduiront exactement à la manière des dieux. Ils souffriront presque tous de ce que nous appellerons le «Complexe de Jupiter».

Prenez Adam, par exemple. Adam fut extrêmement flatté lorsque Eve lui murmura à l’oreille : « Tu sais, mon chéri, tu es le premier. »

Vous me direz qu’il n’avait pas grand mérite ? Eh ! mon Dieu, cela fait tout de même plaisir.

Après lui, nous constatons à tout moment, dans l’histoire et dans la littérature, que les aspirants au mariage exigent avant tout de leur future épouse une garantie de continence prénuptiale. Quand ils s’aperçoivent qu’il s’agit d’une jeune fille « avec tache », ils en font tout un plat. Les « Mille et une Nuits », entre autres ouvrages, nous montrent que les sultans de Perse ou de Chine sont terriblement chatouilleux sur ce point. Ils cherchent la virginité jusque chez leurs esclaves, destinées à devenir simplement des concubines. Une esclave dont le manager peut proclamer, dans un de ces lyriques textes publicitaires traduits par le Dr Mardrus, qu’elle est une « perle imper-forée », se vendra toujours beaucoup plus cher que sa voisine, qui a déjà connu l’amour. A charmes égaux, celle-ci fera quelques milliers de drachmes tout au plus, tandis que l’autre ira chercher dans les cinquante ou cent mille.

À la vérité, on se demande pourquoi. Car il s’agit, dans les deux cas, du même boulot.

Dans les débuts de l’ère chrétienne, la virginité paraissait un bien si précieux que les filles le défendaient avec bec et ongles, et, plutôt que de le perdre, préféraient se laisser jeter dans la fosse aux lions ou griller vives. Cette attitude, naturellement, ne faisait qu’attiser la convoitise des méchants païens, lesquels ne pouvaient voir une vierge sans éprouver la furieuse envie qu’elle ne le soit plus.

Le martyrologe est plein de ces regrettables malentendus qui ne se terminent pas toujours à l’avantage du sexe fort.

La plus curieuse de ces légendes est celle des onze mille vierges, venues d’outre-Manche sous la conduite de sainte Ursule, en exécution d’un traité d’importation conclu entre le roi d’Angleterre et un certain Conan, gouverneur de Bretagne, pour repeupler cette province, alors affligée d’une cruelle disette de femmes. Le bateau qui les transportait, malheureusement, fit naufrage, et les onze mille vierges tombèrent aux mains des Huns.

Huns contre onze mille ! Je vous laisse à penser si ces Barbares eurent du fil à retordre…

Malgré ces difficultés, pendant des siècles encore, les hommes, dans leur aveuglement, s’entêtèrent à considérer la virginité comme une condition sine qua non du bonheur conjugal. Pour être plus sûrs de conserver les filles dans cet état d’innocence recherché par les futurs gendres, leurs parents les mettaient dans des sortes de frigidaires appelés « couvents », d’où on ne les tirait que pour la consommation.

En Égypte, au début du siècle dernier, si l’on en croit les récits des voyageurs, le mariage était précédé d’une minutieuse expertise. Une « femme-barbier », – nous dirions aujourd’hui une doctoresse, puisque les barbiers, autrefois, tenaient bien lieu de chirurgiens – avait pour mission de soulever les voiles de la fiancée, et de vérifier, « manu et oculo », si le témoignage matériel de sa continence existait toujours.

Nous ne multiplierons pas ces exemples de l’étrange faveur que les hommes accordent au pucelage. Citons simplement la coutume qui, jadis, existait au pays basque, d’exhiber, au lendemain du mariage, les draps du lit nuptial.

Cette pièce à conviction, pour démontrer tant à la fois que les rites normaux avaient été accomplis par l’époux, et que l’épouse, auparavant, était vierge, devait être tachée de sang. Lorsque la famille avait sujet de craindre que cette preuve ne fît défaut, elle s’arrangeait pour tacher les draps à l’avance avec un peu de sang de lapin.

Le mari et les tiers n’y voyaient que du feu, car une analyse même n’eut pu révéler la fraude, le lapin et l’homme appartenant, comme chacun sait, au même groupe sanguin.

Et de nos jours ?

Eh bien ! il semble que, depuis quelques décades, on ne fasse plus autant d’embarras qu’autrefois autour de la virginité.

Sans aller jusqu’à l’extrême tolérance des Japonais, qui permet, et même recommande aux jeunes filles de se constituer une dot en laissant leur pucelage entre les mains de quelque noble et riche amateur, les Occidentaux se montrent de plus en plus indifférents sur le chapitre de la virginité.

L’homme moderne, plus sûr de lui, ne souffre plus, dirait-on, de cette crainte de la comparaison avec le prédécesseur inconnu, qui obsédait ses ancêtres.

Peut-être, après tout, cette philosophie vient-elle du fait que les vierges authentiques se font de plus en plus rares ?

On trouverait malaisément aujourd’hui, en Angleterre, onze mille vierges pour repeupler la Bretagne. Ou bien onze mille vierges bretonnes pour repeupler le Royaume Uni.

La danse, le sport, le cinéma sont les principales causes de ce phénomène. Ces divers délassements, plus ou moins suivis de délacements, ne sont guère favorables à la conservation prolongée de la continence. Les garçons, d’autre part, s’aperçoivent vite qu’ils prennent fort peu de plaisir avec une fille qui n’a pas encore, comme disent les automobilistes, passé l’épreuve du « rodage ». Ne possédât-elle qu’un doigt d’expérience, elle donne plus de satisfaction qu’une novice.

Et cela d’autant plus qu’une jeune fille peut toujours prétendre que cette science ne lui vient nullement de la pratique, mais de dons innés, développés au lycée, grâce aux cours d’éducation sexuelle.

Tout de même qu’il est toujours possible, dans une voiture qui n’est pas tout à fait neuve, de remettre le compteur à zéro.

Le mari, comme le conducteur, ne demande qu’à être convaincu.

Georges-Armand MASSON.

Précédemment publié en mai 2008

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