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Mack Nat-Frawsen : un poète talentueux et paisible

J’aime les talents discrets, rétifs aux tapages médiatiques, dont la créativité se manifeste aux sens portée par l’imprévisible vent du hasard ou la roue aléatoire de la Fortune. Ma considération va au poète qui travaille tranquillement dans le secret de son bureau et l’intimité de son esprit sans se soucier du futur résultat de sa soumission à la maîtresse capricieuse qu’est sa muse. Le poète devient grand quand sa motivation première n’est pas d’éclairer sa petite personne des feux flatteurs de la renommée mais d’offrir à ses lecteurs et ses auditeurs, par la magie de ses mots, des images et des musiques merveilleuses. Le vers du poète frimeur assomme au lieu d’enivrer, il inhibe les sens au lieu de les éveiller. La belle poésie a rarement pour source l’imagination d’un racoleur.

Mack fait partie des quelques poètes compatriotes que j’admire et respecte.  D’une discrétion voisine de l’effacement, il édite ses recueils à compte d’auteur et les distribue gracieusement aux lectrices et lecteurs de son choix. J’ai la chance de faire partie de ce panel restreint auquel il destine ses œuvres. J’ai essayé de payer les premiers recueils reçus, en vain. À présent je les reçois en les payant d’un merci crispé par le duel que se sont livré ma sincérité et ma culpabilité. Le poète écrit et édite sans ambitions crapuleuses, sans obsession de reconnaissance, sans espérances démesurées, sans folie de grandeur.  Il s’interdit les gesticulations et les travers des coureurs de célébrité car il sait que les défauts et les qualités d’un poète imprègnent son œuvre. Un bel esprit crée de la beauté, un esprit hideux produit de la laideur. L’exigence de qualité est étrangère à l’esprit orgueilleux car l’orgueilleux refuse toute critique y compris la critique constructive soucieuse de lui montrer ses erreurs pour les lui faire corriger.

Quand le talent s’unit à l’humilité, le couple ainsi formé peuple l’univers d’un poète d’inventivité et d’imagination fécondes et lui apprend à accueillir l’inspiration de la muse avec circonspection. L’inspiration est, pour le poète prudent, pareille à la promesse d’une fleur. De même que la fleur ne tient pas toujours sa promesse de donner un beau fruit, l’inspiration ne se transforme pas toujours en beau poème. Les inspirations avortées, les projets d’écriture abandonnés après quelques tentatives rappellent que le don de la muse est un cadeau empoisonné s’il n’est pas emballé dans le papier de la persévérance et ficelé du ruban de l’assiduité à l’effort.  Mack instruit du conseil de Boileau, a appris à « penser avant de se mettre à écrire ». II sait que « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Maintes fois, il remet sur le métier son ouvrage, le travaille et le retravaille jusqu’à lui donner une forme finale irréprochable. Il se distingue, par son application à épurer sa langue, des prétentieux impulsifs souvent leurrés par leur faiblesse travestie en talent et des narcissiques avides d’auto-admiration.

Mack semble connaître les dédales dans lesquels l’inspiration se perd et quitte la rigueur pour la facilité, la poésie pour la versification. Il les évite avec brio.  On devine à la lecture de ses poèmes que leurs compositions ont été soumises au souci de leur donner une magie évocatrice, qu’ils ont été maintes fois corrigées et soignées patiemment avant d’atteindre leurs formes définitives, que les mots ne sont pas là par hasard mais affectés à leurs places lorsqu’ils sont devenus, après plusieurs jeux de constructions et déconstructions, harmonieux avec l’exigence de qualité du poète. On constate que leurs formes sont ouvertes à toutes les figures de style de l’art poétique, que leurs thèmes traitent les préoccupations, les impressions, les émotions et les sentiments humains sans exclusive. En amont de chaque texte, il y a eu de la réflexion et de la recherche. Mack sait que les poèmes naissent beaux lorsque leurs gestations ont imité les genèses des beautés de la nature. La patience ajoute du charme à la beauté, la précipitation prive le talent de la matrice où séjourne et se développe l’embryon de la muse avant de naître en beau poème. La graine dort un certain temps dans le ventre obscur de la terre avant de germer et donner une belle fleur. La chenille réside dans sa chrysalide pendant quelques semaines avant d’en ressortir transformée en beau papillon. Ainsi font les mots d’une langue, avant de devenir poésie, ils doivent passer par un processus de sélection et d’élaboration rigoureux. Une belle création littéraire ou artistique mûrit dans la solitude et la méditation de l’esprit. Mack peaufine sa poésie et lui donne, au fil des recueils, un irrésistible pouvoir de séduction.

Une question s’impose : Pourquoi ce poète discret, désintéressé des hommages, de la célébrité et de l’argent que pourraient lui rapporter les ventes de ses recueils, écrit-il ? Les réponses sont dans la préface de son deuxième recueil titré « Le vers de la mélodie » : « J’écris ces mots pour oublier, voyager, rêver sans limites. Je les lie pour franchir les frontières, j’essaie de construire des échelles de rêves pour aller dans les cieux, toiser les nuages et sourire à la lumière des étoiles. J’accorde les temps au présent pour bloquer l’horloge et figer le temps qui passe ». Il ajoute plus bas dans la préface : « mes mots se moquent des regards indécents, je les veux insensibles à l’écho de l’ironie, au bruit des mauvaises langues… ». Quelle personne insensée oserait ironiser sur l’écriture d’un poète de la trempe de Mack ?

Il serait fastidieux de présenter les cinq recueils reçus. Ma prose risquerait d’ennuyer en desservant, par sa verbeuse lourdeur, leur fluidité ; Quelque grand soit l’effort d’un admirateur, il ne peut communiquer le vif plaisir tiré de ses lectures. La réaction soulevée par l’art poétique dans le cœur diffère selon l’émotivité et la sensibilité de chaque humain tout comme l’ampleur de l’intensité du plaisir est plus ou moins large selon l’acuité des sens et les goûts individuels. Toutefois, une sommaire présentation des recueils et quelques mots sur l’esthétique du poète s’imposent.

La poésie de Mack se décline en vers libres affranchis des contraintes de la rime, du mètre et de l’organisation strophique. Mais tout en n’étant pas un féru de la structure régulière et du vers traditionnel, on trouve dans ses recueils des poèmes dont les mélodies et les images sont diffusées sur une ou plusieurs strophes. Les vers des tercets de « La solitude » et ceux de « La rencontre », deux poèmes contenus dans le recueil de « La rivière espérance », sont soumis à la rime. Les figures de style la plus répandues dans les recueils sont la personnification et la métaphore. Le poète parle des éléments de la nature, des animaux et des   choses comme on parlerait d’êtres humains : « la silhouette d’une douce vague caresse la peau de la mer ».  La peau de la mer étant métaphore de la surface de la mer. Deux autres exemples où la personnification et la métaphore forment une union heureuse : « Dans le train en pleine errance un papillon de pluie sur la fenêtre admire la fleur bleue posée doucereusement sur le siège d’une étoile qui file en voyage », « Le printemps cette année a oublié sa joie, le soleil ne brillera plus à cet endroit ». Dans ce dernier exemple le soleil est la métaphore de la maman lumineuse et chaleureuse perdue, l’endroit est le vieux banc où, vivante, elle aimait s’asseoir. On peut aussi remarquer l’association d’une hyperbole et d’une antithèse dans « mon cœur saigne d ’espoir de t’entendre et de te voir, caresser le joli dessin de ton sourire une fois pour la vie puis mourir » La juxtaposition de « vie » et de « mourir » est un oxymore qui étonne et interpelle.

Dans le recueil « Rivière espérance » le poète s’est amusé à faire, avec les titres de ses poèmes, des clins d’œil à des œuvres musicales, littéraires ou cinématographiques. Les plus évidents sautent aux yeux tels « Les moulins de mon cœur » pour Michel le grand, « Loin de Médine » adressé à Assia Djebbar, « La fièvre du samedi soir » qui rappelle le fameux film avec Travolta. Dans le recueil « Mots éparpillés » le titre « Terre des Hommes » convoque le souvenir d’Antoine de Saint-Exupéry et « L’Absente » rappelle le roman de Lionel Duroy. Dans le recueil « Le souffle du Zéphyr » le titre « Une bouteille à la mer » projette dans les mémoires des cinéphiles le film de Luis Mandoki.

En parcourant les recueils de Mack, on n’y trouve des mots transfigurés en poèmes mais aussi des partitions dans lesquelles sont retranscrits les sifflements du vent, les clapotis des vagues de l’océan, les chants d’oiseaux, le bruissement de la pluie, les vibrations et les palpitations du cœur, les éclats de rires et les silences des écoulements de larmes, mais en plus des albums photos où sont réunies de belles images de mer, d’océan, de montagne, de fleurs, de déserts. Le lecteur y trouvera également des couleurs avec le bleu du ciel, le gris et le blanc des nuages, le noir des yeux, la couleur des coquelicots et celle des joues des filles. Les parfums ne sont pas oubliés : « La fragrance des mots », « Le parfum de la romance », « Parfum de printemps ».

Améziane, 3 septembre 2019

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