Femmes

Statut successoral de la femme kabyle depuis la délibération de 1748

Quatrième partie de l’étude sur l’exhérédation des femmes en Kabylie.

La délibération de 1748 nous explique dès lors pourquoi Hanoteau et Letourneux ont déterminé de la façon qui suit, l’ordre de dévolution des successions ab intestat dans lequel les femmes ne figurent pas :

1° Héritiers acebs ou universels, qui comprennent toute la descendance mâle directe par les mâles et tous les collatéraux descendant par les mâles de la branche paternelle ;

2° Ascendants par les mâles du côté paternel, père, grand-père, aïeul, etc. ;

3° Le patron et l’affranchi, considérés comme CI : héritiers acebs l’un de l’autre[1] ;

4° Le frère utérin, seul mâle de la branche maternelle appelé à prendre part à la succession, mais toujours dans une proportion déterminée ;

5° La kharouba, qui vient à la succession en concurrence avec le frère utérin ;

6° Le village, qui jouit du même privilège.

Voici dans quels termes quelques-uns des kanouns recueillis par Hanoteau et Letourneux relatent l’exhérédation des femmes

  1. – Les femmes chez nous n’héritent pas, nos aïeux en ont-décidé ainsi, et nous approuvons cette décision (Aït Flick).
  2. – La femme n’a rien à prétendre dans la succession de son père (Aït Fraoucen).
  3. – Les femmes ne sont pas admises à participer aux successions (Aït el Ader).
  4. – Les femmes, mariées ou non mariées n’héritent pas (Aït Khalifa).
  5. – Les successions sont dévouées au parent le plus proche, les femmes n’ont aucun droit à prétendre dans les successions, même de leur père ou de leur mari (Aït R’oubri).
  6. – Les femmes n’héritent pas (Koukou).
  7. – Celui qui propose de donner une part à une femme dans une succession ; paye 50 réaux d’amende (Aït Ferah).

Ces mêmes kanouns ne purent cependant laisser ces malheureuses femmes mourir de faim. Aussi imposèrent-ils aux héritiers l’obligation de les nourrir, de les vêtir et de les loger lorsque, vierges, elles n’ont pas quitté leur famille, ou lorsque le veuvage, la répudiation ou l’insurrection leur ont fait abandonner le toit conjugal[2].

  1. – La femme qui devient veuve ou qui est répudiée ; a le droit de vivre dans la maison de son père et sur sa succession (Aït Khalifa).
  2. – Ou sur les biens de leurs proches qui ne peuvent se refuser à les recevoir (même kanoun).
  3. – Les femmes ont droit aux aliments et aux vêtements (Aït R’oubri).
  4. – Elles ont droit à-la nourriture et aux vêtements sur les biens de leur père ou (dans le cas où la veuve a des enfants) sur les biens du mari (Aït-el-Ader).
  5. – Si un homme en mourant laisse une femme, des filles, des sœurs, elles auront le droit d’habiter la maison du défunt et auront la jouissance viagère du tiers de la succession. Si ces femmes peuvent exploiter les biens, elles auront le droit de le faire, ; sinon, les plus proches parents les exploitent aux conditions ordinaires de la coutume. Elles choisissent elles-mêmes les individus qu’elles veulent charger de leurs affaires au-dehors (Agouni N’tesselent),
  6. – Si un homme en mourant laisse des filles, des sœurs, une femme, etc., ses héritiers ne peuvent vendre la maison du défunt, et doivent réserver pour les femmes qui la quitteraient un jardin irrigué et un jardin d’artichauts. On choisit aussi pour elles le meilleur des chênes à glands doux et le meilleur des oliviers. Ces propriétés sont affectées à la nourriture et à l’entretien des femmes qui reviendraient habiter la maison de leur parent défunt. Les réserves dont il vient d’être parlé sont faites au profit des femmes qui sont mariées. Celles qui ne sont pas mariées, ont droit à la nourriture et à l’entretien sur tous les biens de.la succession (Koukou).
  7. – Si une veuve n’a que des filles, la djemaâ fait deux parts des biens du défunt : l’une est laissée à la veuve et à ses filles, pour vivre, l’autre est immédiatement livrée aux héritiers (Azeffoun).

Observons que certains kanouns limitent ce droit d’usufruit au tiers (n° 5), d’autres à la moitié (n° 7), d’autres enfin, affectent à ce droit, la totalité des biens (n° 6).

En réalité, il n’y a aucune limitation fatale. Tout dépend de l’importance de la succession et du nombre des femmes à entretenir.

Quels étaient les motifs de cette délibération de 1748 et peut-on dire que, de nos jours, les Kabyles du Djurdjura sont encore dans les mêmes dispositions à l’égard des femmes ?

Pierre Hacoun-Campredon, docteur en droit, Étude sur l’évolution des coutumes kabyles, spécialement en ce qui concerne l’exhérédation des femmes et la pratique du hobous, 1921

À lire les autres articles pour une meilleure compréhension du texte :

Quid de l’héritage des femmes en Kabylie ?

Exhérédation des femmes kabyles (II)

Le sort de la femme dans la coutume kabyle

Statut successoral de la femme kabyle depuis la délibération de 1748

Influences contre l’exhérédation des femmes kabyles

Pratique du hobous en Kabylie

Notes :

[1] On voit par cet exemple notamment, l’utilité d’adapter le texte d’Hanoteau et Letourneux à la législation actuelle ; dans, l’ordre des héritiers, en effet, il faut supprimer :

1° le patron et l’affranchi qui n’existent plus de nos jours ;

2° le village qui, n’ayant pas de personnalité juridique, ne peut acquérir par succession. Enfin, il conviendrait de définir la kharouba et d’examiner la question de sa vocation héréditaire qui peut paraitre douteuse. Pour nous, la kharouba est une fraction de village dont les membres ont des ancêtres communs et forment un groupe ayant souvent ‘les mêmes intérêts et les mêmes devoirs. Les indigènes composant une kharouba portent, généralement, le même nom patronymique, mais leur parenté est si lointaine, qu’ils seraient incapables de la préciser avec exactitude.

[2] Hanoteau et Letourneux, t. II, p. 294.

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