Politique

Arabisation idéologique

Taleb Ibrahimi et l’arabisation idéologique (1965-1970)

Sous l’impulsion du ministre de l’Éducation nationale, Ahmed Taleb Ibrahimi, descendant d’un réformiste connu[1], l’arabisation est utilisée pour légitimer un régime impopulaire, en étant présentée comme la face culturelle de l’indépendance. Le ministre fixe les impératifs de l’enseignement : démocratisation, arabisation, orientation scientifique. Mais la mise en place continue : arabisation de la seconde année primaire à la rentrée 1967[2], création d’une section arabe à la faculté de droit en 1968 et d’une licence d’histoire en arabe[3]. Le 5 décembre 1969 est créée une Commission nationale de réforme, chargée de préparer un projet de réforme du système éducatif : elle comporte une sous-commission de l’arabisation, présidée par Abdelhamid Mehri.

Le 26 avril 1968, une ordonnance[4] rend obligatoire pour les fonctionnaires et assimilés la connaissance de la langue nationale, à partir du 1er janvier 1971. Les fonctionnaires en place doivent acquérir pour cette date la connaissance de cette langue, et les nouveaux recrutements à cette date se feront sur cette base. Par ailleurs, les actualités dans les cinémas sont arabisées (en arabe moderne) en octobre 1967[5].

Des débats sur cette politique sont soulevés en divers lieux : chez les magistrats[6], dans la presse[7]. Selon une enquête menée à cette époque par l’Université de Berkeley[8], 80 % des jeunes gens interrogés sont hostiles à l’arabisation de l’enseignement universitaire. En 1969, un groupe d’enseignants algériens demande, dans une lettre publiée dans un hebdomadaire, l’utilisation de la langue dialectale dans l’enseignement[9]. En 1970, un article de Mohamed Seddik Benyahia, ministre de l’Information, va jusqu’à évoquer, à propos de cette question, « la trahison des clercs[10] ».

À suivre
Grandguillaume Gilbert, enseignant honoraire à l’EHESS. Ancien responsable de la coopération culturelle à l’ambassade de France à Alger.

[1] Cheikh El Bachir El Ibrahimi (1876-1965), successeur de Cheikh Ben Badis, fondateur du mouvement réformiste en Algérie en 1931.
[2] Grâce au recrutement de mille coopérants syriens.
[3] El-Moudjahid, 2 juin 1967 et 9-10 février 1968.
[4] Journal officiel du 3 mai 1968.
[5] El-Moudjahid arabe, n° 387 du 1er octobre 1967.
[6] Mise en garde du président de la Haute Cour en présence du président Boumediene, à la rentrée judiciaire de 1967, Annuaire de l’Afrique du Nord, 1967, p.154.
[7] El-Chaab du 11 janvier 1967 et El-Moudjahid arabe, n° 352 du 29 janvier 1967.
[8] Annuaire de l’Afrique du Nord, 1969, p.460.
[9] Jeune Afrique, n° 418, 5-13 janvier 1969.
[10] Révolution Africaine, n° 316, 14-20 mars 1970.

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