Politique

Arabisation systématique en Algérie

Mehri et l’arabisation systématique (1970-1977)

Le remaniement ministériel du 21 juillet 1970 substitue au domaine de Taleb Ibrahimi trois ministères : l’Enseignement primaire et secondaire (Abdelkrim Benmahmoud), l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique (Mohamed Seddik Benyahia), et l’Enseignement originel et les Affaires religieuses (Mouloud Qasim). L’agent actif de l’arabisation sera Abdelhamid Mehri, secrétaire général de l’Enseignement primaire et secondaire. Il se heurtera toutefois à la barrière établie au niveau de l’enseignement supérieur par le ministre Benyahia. Avec l’appui des arabisants réformistes ou baathistes du FLN, il manifestera une grande obstination à contourner les résistances pour mettre les Algériens face au fait accompli d’un enseignement primaire et secondaire entièrement arabisé, et pesant de ce fait sur l’enseignement supérieur[1].

L’année 1971, année d’application de la réforme administrative décrétée en 1968, avait été déclarée en janvier « année de l’arabisation[2] ». Mais plusieurs faits allaient en détourner l’attention. En janvier, l’agitation des étudiants conduit à la dissolution de leur syndicat, l’UNEA, et à l’arrestation d’un grand nombre d’entre eux[3]. Le 24 février, un nouveau front est ouvert avec la nationalisation des compagnies pétrolières étrangères[4] et la tension internationale qui la suit. Enfin le 8 novembre est publiée l’ordonnance « portant révolution agraire » pour la réalisation de laquelle le pouvoir allait devoir s’appuyer sur les éléments progressistes de la société, hostiles aux arabisants[5].

En attendant, l’arabisation continue. En avril 1971, un colloque des cadres de l’éducation aboutit aux décisions suivantes : arabisation totale des 3e et 4e années primaires, arabisation d’un tiers de l’enseignement moyen et d’un tiers du secondaire. Mais un décret du même ministère dispensera les hauts fonctionnaires de la connaissance de la langue arabe[6]. Au ministère de la Justice, un décret du 27 juin 1971 impose l’arabisation. À la rentrée universitaire de 1973, la chaire de berbère tenue à l’Université d’Alger par Mouloud Mammeri est supprimée.

« Mehri expose son programme dans un article du Monde diplomatique de janvier 1972, sous le titre « La langue arabe reprend sa place ». Le 6 novembre 1973, une Commission nationale d’arabisation est instituée au sein du parti du FLN et présidée par Abdelkader Hadjar. Cette commission présente en décembre 1974 un rapport sur l’état de l’arabisation. Mehri y traite du bilinguisme, du rapport arabe classique-dialecte et du caractère non naturel du fait linguistique en Algérie. »

Toutefois, la tension créée dans le pays par la mise en œuvre de la révolution agraire s’ajoute aux controverses suscitées par l’arabisation. Celles-ci aboutissent à des heurts entre étudiants, parfois violents comme en mai 1975, à Alger et à Constantine. Ces tensions sont aggravées par la tenue, du 14 au 17 mai, d’une Conférence nationale sur l’arabisation[7], inaugurée par un discours important du président Boumediene[8]. Elle est suivie d’une Conférence nationale sur la jeunesse (19-22 mai). La pression arabisante, s’exerçant dans un sens hostile à la révolution agraire, entraîne le 16 avril 1976 une ordonnance décidant la suppression de l’enseignement religieux et privé[9] : dirigée en apparence contre les établissements étrangers, cette mesure vise en réalité les foyers d’endoctrinement islamique que regroupait l’enseignement originel.

Cette année 1976 est animée par les discussions publiques proposées sur le projet de Charte nationale[10]. Mais l’arabisation de l’environnement est poursuivie : arabisation de l’état civil[11], des noms de rues, des plaques d’immatriculation. Le vendredi est déclaré jour de repos hebdomadaire, à la place du dimanche[12]. Le 10 décembre Houari Boumediene, candidat unique à la présidence, est élu à 99 % des voix[13] : le pouvoir est apparemment à son sommet.

À suivre
Grandguillaume Gilbert, enseignant honoraire à l’EHESS. Ancien responsable de la coopération culturelle à l’ambassade de France à Alger.

[1] Notamment en interrompant la formation de professeurs de français et en doublant l’École normale supérieure (dépendant de l’Université) par une ENS formant des professeurs arabisés. Cf. Grandguillaume, 1983, p. 99-102.[2] El-Moudjahid, 8 janvier 1971, et ordonnance 75-2 du 20 janvier 1971, portant extension de l’ordonnance du 25 avril 1968 relative à l’arabisation de l’administration.[3] El-Moudjahid, 3-4 janvier 1971.[4] « Nationalisation des pétroles : les décisions historiques du 24 février 1971 », Révolution Africaine, n° 366, du 26 février au 4 mars 1971.[5] La mobilisation des étudiants progressistes se fera dans le cadre du volontariat des étudiants pour la révolution agraire, à partir de juillet 1972. L’ordonnance de 1971 sera abrogée par la loi du 5 novembre 1990, rétablissant la privatisation des terres.[6] Journal officiel, n° 28, du 6 avril 1973.[7] Compte rendu de cette conférence dans Révolution Africaine, n° 586 (16-22 mai) et n° 588 (30 mai-5 juin). Voir aussi Christiane Souriau, « La politique algérienne de l’arabisation », Annuaire de l’Afrique du Nord, 1975, p. 363-401.[8] Publié par Révolution Africaine, n° 588, pour le texte français, et par El-Moudjahid en arabe du 18 mai 1975, pour le texte arabe.[9] Journal officiel du 12 mai 1976, et Le Monde du 24 juin 1976.[10] Le projet publié le 27 avril est soumis à discussions publiques et est l’objet d’un référendum le 27 juin 1976, où la Charte est approuvée par 98,50 % des citoyens.[11] El-Chaab du 23 octobre 1976.[12] Journal officiel du 17 août 1976 : le jour de repos hebdomadaire est fixé au vendredi à compter du 27 août 1976 (1er Ramadhan).[13] El-Moudjahid du 12 décembre 1976.

Merci de respecter notre travail.