Philosophie

De la curiosité Plutarque

Lorsqu’une maison manque d’air, qu’elle est obscure, trop froide ou malsaine, le mieux est peut-être de l’abandonner. Si pourtant on s’y est attaché par habitude, il est possible, en déplaçant les fenêtres, en changeant la disposition des escaliers, en ouvrant telles portes, en supprimant telles autres, de la rendre plus claire, mieux aérée, plus saine. Il y a même des villes que des transformations de ce genre ont merveilleusement améliorées. Ma patrie en est un exemple. Elle était située à l’Ouest, et ne recevait que le soir, du côté du Parnasse, les rayons du soleil couchant. On dit qu’elle fut tournée vers le levant par Chéron. Le naturaliste Empédocle, en bouchant au pied d’une montagne une excavation d’où s’exhalait dans la plaine un brûlant et pestilentiel vent du midi, passe pour avoir délivré de la peste toute une contrée. Il est pareillement certaines affections malsaines, funestes, qui portent la tempête dans l’âme et l’obscurcissent. Le mieux serait de les supprimer et de faire table rase, de manière à donner à l’âme de la sécurité, de la lumière et un souffle pur. Mais si la chose est impossible, il faut du moins changer et modifier l’âme d’une manière quelconque, en lui donnant un autre tour et une autre direction. Sans aller chercher plus loin, la curiosité, ce désir de connaître les défauts des autres, est une maladie qui ne semble être exempte ni de jalousie ni de malignité. « Homme jaloux, pourquoi sur les défauts des autres Porter un œil perçant ? Occupez-vous des vôtres. » Reportez du dehors et retournez à l’intérieur de vous-même cette curiosité. Si vous aimez à feuilleter une histoire de maux, vous avez en vous de quoi vous occuper. « L’Alize a moins de flots, le chêne, moins de feuilles » que vous ne trouverez de fautes dans votre conduite, de passions dans votre âme, et de négligences dans l’accomplissement de vos devoirs. Car, comme Xénophon dit que les personnes qui règlent bien leur maison ont un endroit particulier pour les vases destinés aux sacrifices, un autre pour la vaisselle de table, que les instruments de labour sont placés ailleurs, et les armes de guerre, à l’écart ; de même vous avez en vous, ici les défauts qui proviennent de la haine, là ceux de la jalousie, ailleurs ceux de la lâcheté, ailleurs ceux de l’avarice. Voilà les objets qu’il faut examiner, dont il faut dresser l’inventaire. Fermez les jours qui vous ménagent une vue sur le voisin. Barrez les passages par où s’échapperait votre curiosité. Ouvrez-lui d’autres issues, d’autres fenêtres : celles qui donnent dans votre appartement, dans celui de votre femme, dans le logis de vos serviteurs. Elle aura là, cette curiosité, de quoi se créer des occupations qui ne seront ni stériles ni malveillantes. Ce sera une investigation utile et salutaire offerte à votre désir de tout connaître, de vous mêler de tout. Que chacun se dise à soi-même : « Où me suis-je attardé ? qu’ai-je fait ? qu’ai-je omis ? »

Plutarque

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