Société

Drogue en Kabylie

Rabah est un gentil garçon. Comme beaucoup de garçons du village, l’école était le dernier de ses soucis. Il n’y comprenait rien. Ses maîtres avaient beau essayer de lui inculquer quelques rudiments d’un savoir arabisé, mais rien à faire, même avec la matraque. Alors, après l’école buissonnière qui n’a que trop durée et vu son âge aussi, Rabah finit par décider de la quitter définitivement. Mais pour aller où ? Rejoindre ses nombreux amis du même âge qui poirotent entre le café et la place publique du village squattée de longue date par Moh u zaghvuv qui a quitté, lui aussi, l’école à la quatrième année primaire.

A la place centrale du village, on trouve des jeunes de toutes les situations sociales et psychologiques : des adolescents, de nombreux chômeurs mais aussi des déprimés de toutes sortes et de tout âge ainsi que de nombreux dépressifs refoulés de jours, et même des fois de nuit, par leurs familles car arrivés au stade d’un niveau de dépression que leurs pauvres mères n’arrivent plus à contrôler et à maîtriser !

C’est là justement que Muh u zaghvuv intervient pour aider les nouveaux débarqués à la place publique en leur offrant, dans un premier temps gratuitement, le moyen de transport extatique le plus prisée par tous ces jeunes désœuvrés vers un ailleurs des fois sans retour : Tahcict [1] !

Appelé aussi Moh u sevsi, ce professionnel du rêve artificiel a fourni des générations de jeunes dont certains, aujourd’hui, continuent de se couvrir de leur burnous en plein été même, à plus de quarante degrés ! Ils ne ressentent plus la différence entre le froid et la chaleur. Les saisons se succèdent et se ressemblent tellement au point que d’autres se mettent carrément en chemises à zéro degrés, sous la neige ! Azeghvuv que leur fournit Moh asevsi leur fait tellement de bien !

L’on dit que Moh la drogue a son propre jardin qu’il a aménagé au milieu d’une forêt, loin du village et des curieux, et qu’il fait garder comme une bijouterie. C’est là-bas qu’il cultive tahcict, cette panacée à tous les ennuis des jeunes, et qu’il fait transporter chez lui, à dos du jeune Rabah, pour la sécher dans la cour de sa maison avant de la mettre sur le marché nocturne sis à la place centrale du village.

La récolte de tahcict a ceci de particulier qu’elle est toujours bonne. Une belle plante quasi rustique qui trouve ses dernières années un terrain propice dans une région que l’on a sciemment prédisposée et qu’on appelle la Kabylie ! La récolte est tellement bonne que Moh fait même dans l’exportation aujourd’hui, surtout, depuis que de nombreux jeunes chômeurs n’ont plus les moyens de payer. Très demandée, Moh azeghvuv n’arrête pas d’augmenter ses prix et maintenant il a décidé de ne plus faire de crédit. Il en a marre de tous ces jeunes, très nombreux, qui ne payent plus !

Cette nouvelle contrainte faite aux jeunes accrocs du village ne tarda pas à les chambouler dans leurs habitudes généralement passives. Il y en a qui font la manche tout simplement. D’autres qui cambriolent des objets qu’ils bradent carrément au marché hebdomadaire de la commune et, oubliant même de se nourrir, ils courent droit pour les offrir à Moh le sauveur. Mokrane, quant à lui, moins débrouillard et sous l’effet du manque, n’a pas hésité à violenter sa pauvre vieille mère, qui lui résista, pour l’obliger à lui céder le contenu de sa maigre bourse ! Il y en a même qui ont vendu les moutons de leurs parents pour se procurer un peu de rêve chez Moh azeghvuv. Les seuls que cette nouvelle crise n’affecte plus concernent tous ceux qui ont fait déjà ce voyage extatique sans retour que leur a « généreusement » offert Si Moh. Il paraît que leur corps a cessé maintenant de demander azegvuv. Ils n’en ont plus besoin ! Moh n’aime pas trop perdre de bons clients de cette façon-là. Mais qu’est-ce qu’il peut bien faire face à des jeunes en chemises en hiver et en burnous en été ? Ce n’est plus de son ressort.

– « Et toi Rabah, que penses-tu de ta nouvelle situation après l’école ? »
– « Avec Si Moh je n’ai pas à m’inquiéter. Je travaille, je mange et surtout je fume à ma guise au point de ne plus ressentir le besoin de rentrer chez moi et de ne plus rien demander à mon père. C’est vrai qu’il ne me donne pas de l’argent mais, à part ça, tout va bien. Alors, vive Moh azeghvuv »

Par Timecriwect

Notes :

[1] cannabis

Article précédemment publié le 14 mai 2011

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