Récits voyageurs

Faux-monnayeurs kabyles

Les Ayt-Yaya, tribu kabyle du Jurjura savent parfaitement faire la fausse monnaie ; avant notre arrivée ils fabriquaient des piastres, des sequins, des douros. Les Français venus, ils se mirent à imiter leur monnaie d’or.

Depuis un temps immémorial, les Kabyles établis à Ayt-el-Ârba, village considérable de la tribu des Ayt-Yanni, se livrent à cette industrie ; nous disons industrie, car, pour la/plupart d’entre eux, la fabrication de la fausse monnaie n’a pas d’autre caractère.

La position du repaire de ces faux-monnayeurs est au, sommet d’une montagne, protégée par un défilé très étroit et presque inaccessible. C’est là qu’à l’abri de toute attaque, ils imitent les monnaies de cuivre, d’argent et d’or dé tous les pays. Les matières premières leur sont fournies en partie par les mines voisines. Le cuivre, l’argent, leur viennent, soit de la côte barbaresque, soit du Sahara ; par des hommes qui, attirés par l’appât du gain, achètent avec des pièces de bon aloi, des monnaies fausses, qu’ils paient sur le pied de vingt-cinq pour cent de la valeur qu’elles représentent.

La simple inspection d’une pièce contrefaite prouve que le, procédé employé pour l’obtenir est, généralement celui de la fusion. Toutes les pièces présentent, en effet, un diamètre, tant soit peu inférieur à celui des modèles, résultat forcé du retrait qu’elles ont subi par le refroidissement à la sortie du moule provenant des pièces véritables. Le relief des figures, des lettres, est ordinairement mal accusé, et l’aspect du métal terne ou cuivreux. Cependant, beaucoup de ces fausses monnaies trompent le premier coup d’oeil ; quelques-unes même exigent un minutieux examen.

Quant à nous, nous nous rappelons avoir eu en notre possession, un certain nombre de douros d’Espagne, appelés par les Arabes douros bou medfa. Ces pièces avaient à un tel point non seulement l’apparence, mais encore le son et le poids des douros véritables, qu’un banquier d’Alger, malgré notre affirmation, qu’ils étaient faux, nous avait offert de nous les échanger contre de belles et bonnes pièces de cinq francs.

Les moyens de répression employés par les Turcs pour s’opposer à l’invasion de la fausse monnaie, étaient en tout conformes aux procédés arbitraires et despotiques que pouvait alors se permettre l’autorité. Trois ans avant l’entrée des Français à Alger, la fausse monnaie s’était multipliée d’une manière effrayante. L’Agha Yahia, qui jouissait d’une grande réputation chez les Arabes, furieux de voir, sa surveillance en défaut, fil arrêter un même jour sur les marchés d’Alger, de Constantine, de Sétif et de Bône, les hommes de toutes les tribus connus pour se livrer à l’émission de la fausse monnaie. On incarcéra de la sorte une centaine d’individus que le pacha annonça l’intention de mettre à mort, si on ne lui livrait les moules et matrices qui servaient à la fabrication. Les gens d’Ayt-el-Arba, pour sauver leurs frères, envoyèrent tous leurs instruments, et les prisonniers ne furent remis en liberté qu’après avoir en outre payé une forte amende. Cet échec éprouvé par les faux-monnayeurs ne les dégoûta pas d’un métier aussi lucratif. Ayt-el-Arbà ne perdit rien de sa prospérité, et le nombre des colporteurs n’en fut aucunement diminué.

Si cette industrie se perpétue dans leurs montagnes, c’est en vertu du principe de non-intervention des tribus dans les affaires des autres : il plaît à tel village de faire de la fausse monnaie, il en est libre, mais à condition que la tolérance dont on use à son égard ne portera pas préjudice à des Kabyles, et que le produit sera écoulé au dehors.

D’après un rapport du général Daumas

Merci de respecter notre travail.