Chronique

Fin de la polémique autour de la tombe de El Hasnaoui

El Hasnaoui : Beaucoup de bruit pour rien

Les familiers de l’Internet kabyle auront peut-être remarqué que depuis quelques jours, certains sites amis makabylie.info, mondekabyle.com relaient un appel du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie à « rapatrier » sous sa terre natale les restes du chanteur kabyle défunt Cheikh El Hasnaoui. Le porte-parole du MAK nous a également demandé de publier cet appel.

Cependant, nous avons choisi de ne pas le publier et même d’aller plus loin, en dénonçant par ce présent article le bien-fondé d’une telle démarche. Au nom de quoi des associations ou des mouvements politiques, quels qu’ils soient, se mêleraient-ils de troubler le repos éternel d’individus qui ne leur ont jamais rien demandé ?

Pour appuyer leur action, les animateurs de cet appel ont expliqué que « la famille de El Hasnaoui souhaite rapatrier son corps » et que « si l’on ne fait rien, les restes de l’artiste vont être jetés dans une fosse commune ou dans une décharge ». Des propos très alarmants certes, qui justifieraient pleinement un appel à la mobilisation des Kabyles pour sauver la dignité d’un de leurs musiciens préférés.

Cependant, au lieu de reprendre sans les vérifier les termes alarmistes du MAK, nous avons pris la peine de nous informer un minimum sur l’affaire. Il s’avère que la situation entourant la tombe du chanteur n’est pas conforme à ce qui est avancé par les sites Internet susmentionnés. Qu’en est-il donc en réalité ?

Rappelons que Cheikh El Hasnaoui est décédé à l’âge de 92 ans, le 6 juillet 2002. Il a été enterré dans un cimetière de l’île de la Réunion, département d’outre-mer français, situé dans l’océan Indien, au large de Madagascar. L’artiste y vivait depuis de longues années, dans une petite maison de Saint-Pierre de la Réunion, en compagnie de sa femme, Denise, laquelle est restée fidèlement à ses côtés jusqu’à la fin.

En ce qui concerne plus précisément la tombe de l’artiste défunt, cette dernière se trouve dans une concession « deux places », que l’artiste et sa femme ont réservé conjointement pour reposer côte à côte, même dans la mort. Notons au passage qu’El Hasnaoui n’a pas été enterré dans le carré musulman, car il tenait tout particulièrement à ce que sa tombe jouxte celle de sa femme, qui n’est pas musulmane. Sur sa tombe, figure son nom civil, Mohammed Khelouati, accompagné de l’épitaphe « Poète kabyle ».

En clair, El Hasnaoui n’a jamais cherché à reprendre contact avec son pays natal, ni avec sa famille, qu’il a tous deux quitté en 1938. Il a souhaité être enterré dans la terre qu’il a choisie pour s’exiler, l’île de La Réunion. Et il voulait expressément que sa femme soit enterrée à ses côtés, dans ce même petit cimetière de La Réunion.

À quel titre certains s’arrogent-ils, aujourd’hui, le droit de troubler le repos du mort ? Ces gens n’ont jamais cherché à aider le vieux musicien, ni même à entrer en contact avec lui, lors de ses longues années d’exil (certes, La Réunion est une terre lointaine, mais certains, qui s’en sont donnés la peine, sont parvenus à retrouver El Hasnaoui avant sa mort, notamment l’ethnomusicologue Mehenna Mahfoufi et le chanteur Abdelli). Trois ans après sa mort, ils surgissent de nulle part et s’agitent.

Sans doute sont-ils animés des meilleures intentions du monde : préserver le patrimoine culturel kabyle, permettre à la population de Kabylie de rendre hommage à un de ses artistes et d’honorer sa mémoire. Cependant, en donnant foi à des rumeurs inexactes, ils obtiennent un résultat inverse à celui recherché : ils contreviennent aux dernières volontés du musicien et troublent son repos ainsi que la tranquillité de sa veuve, qui est aujourd’hui la seule à avoir le droit de donner son avis sur la dernière demeure d’El Hasnaoui.

Souvenons-nous qu’il y a quelques mois, des voix se sont élevées pour demander le rapatriement en Algérie de la dépouille de Taos Amrouche, enterrée en France. Il a fallu une intervention virulente de sa fille, Laurence Bourdil-Amrouche, pour rappeler à tous que Taos Amrouche a toujours systématiquement refusé qu’elle-même et sa mère soient enterrées en Algérie.

Quand on connaît les défis majeurs que vont devoir affronter la Kabylie et les Kabyles pour préserver leur existence, il semble nécessaire de conseiller à nos personnalités et militants culturels et politiques de se concentrer plutôt sur la meilleure façon d’aborder le futur et de laisser nos morts reposer en paix, qu’ils soient enterrés dans nos montagnes, à La Réunion ou ailleurs.

Vous remarquerez qu’il est gravé sur sa tombe qu’il était de nationalité française. Pourquoi vouloir l’algérianiser en voulant l’enterrer en Kabylie ?

[Dernière minute : Le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie a annulé hier, mercredi 12 octobre, son appel au rapatriement des restes de Cheikh El Hasnaoui. Nous nous félicitons de cette décision, cohérente avec la ligne politique défendue par ce mouvement, basée sur l’humanisme et le respect de l’individu. La polémique (ou plutôt la tempête dans un verre d’eau) est donc close.]

A lire : El Hasnaoui ne peut pas se défendre

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