Récits voyageurs

Kabyles au XVIIIe siècle

Venture de Paradis suite à son séjour aux Barbaresques au XVIIIe siècle a minutieusement noté tout ce qu’il voyait. Ses écrits nous permettent de savoir comment vivaient les Kabyles en ce temps-là et les autochtones de la Régence d’Alger.

La première année du règne de Baba Muhammed, le divan décida de faire la guerre aux Kabyles de Bougie pour les réduire : ce sont les peuples qui habitent les montagnes de Felissa, très escarpées et d’un difficile accès. Il partit d’Alger un camp commande par l’aga ; l’aga lorsqu’il marche à sept sangeacs ou drapeaux. Le bey de Constantine, celui de Titéri et le caïd de Seboû vinrent se ranger sous ses drapeaux. On entoura les montagnes, on chercha à y pénétrer ; mais les Kabyles firent partout bonne contenance. La guerre dura deux ans ; les Algériens y perdirent beaucoup de soldats et d’officiers, et les montagnards conservèrent leur liberté. Alger fut obligé de traiter avec eux pour ramener l’apaisement, et les habitants de Flissa consentirent à la paix à condition qu’ils seraient les maîtres de demander la déposition du caïd qu’on envoie à Seboû.

Depuis lors, on a toujours égard aux plaintes qu’ils font contre le caïd, qui ne paye point de garâme, attendu qu’il n’en reçoit presque point. Il envoie de l’huile et des figues sèches au beilik ; il n’est le maître que de la plaine. Cependant comme les Kabyles de Felissa sont presque toujours en guerre entre eux, le caïd est sollicité tantôt par un cheikh tantôt pair un autre d’entrer dans leur querelle, et le caïd embrasse le parti qui convient le mieux à ses intérêts. La politique consiste à semer la division parmi eux pour les affaiblir et les ronger les uns après les autres ; c’est un art dans lequel les Turcs excellent. Lorsque les Algériens [1] attaquèrent ces montagnes, les Cabaïlis gâtèrent tous les chemins, de sorte qu’il serait impossible d’y pénétrer, à cheval. Lorsque quelqu’un poursuivi par le gouvernement se rend dans ces montagnes, il y est en toute sureté. »

Présentation par E. Fagnan [2] de l’ouvrage de Jean-Michel de Venture de Paradis [3] Alger au XVIIIe siècle édité en 1898 par Adolphe Jourdan. Dans le recueil en cinq volumes constitué par les papiers Venture de Paradis et conservé à la Bibliothèque nationale, une partie du tome I se compose des notes recueillies par ce savant, et relatives à Alger, où il se trouvait encore vers 1789.[4] Elles portent le simple titre de “Notes sur Alger ». Elles ont été probablement rédigées dans cette ville même, car le papier sur lequel elles sont écrites porte les traces évidentes des coupures opérées par le service des quarantaines lors de l’arrivée des paquets à Marseille.

Elles devaient, dans la pensée de l’auteur, recevoir une forme définitive : qu’il n’a pas eu le temps de leur donner ; à plusieurs reprises, on trouve les mêmes faits répétés sous deux ou même trois formes, différant à peine entre elles ; des traces d’eau ont, en plusieurs endroits, rendu très pénible la lecture d’une écriture passablement menue ; plusieurs feuillets sont déplacés, car le classement de ces notes a été imparfaitement opéré par la personne chargée de ce soin lorsque la Bibliothèque les fît relier ; elles sont écrites, tantôt à pleines pages, tantôt, sur deux colonnes, soit verticalement, soit horizontalement, et maintes fois la marge renferme des annotations ou des compléments ; elles présentent enfin un caractère fragmentaire, dû peut-être à ce que certaines, pages se sont perdues ou à la circonstance que l’auteur n’a pas achevé de noter tous les faits qu’il se proposait de colliger.

L’éditeur n’a introduit aucun changement quelconque dans un texte qu’il a cru intéressant de mettre à jour ; il s’est borné à rapprocher, à déplacer parfois certains fragments d’après la nature des renseignements qu’ils fournissent, à mettre entre crochets ou à rejeter au bas des pages une rédaction légèrement différente, mais qu’il peut y avoir profit à respecter, le tout de manière à permettre au lecteur de s’orienter plus facilement. La transcription des mots arabes ou turcs, qui d’ailleurs n’est pas uniforme partout, a été le plus possible respectée.

Jean Michel de Venture de Paradis, Tunis et Alger au XVIIIe siècle 

Notes

[1] Les Kabyles (Cabaïlis dans le texte) n’étaient pas Algériens. Étaient qualifiés d’Algériens, les Turcs et habitants d’Alger ou sous domination turque.
[2] orientaliste français
[3] né le 8 mai 1739 à Marseille et mort le 16 mai 1799
[4] Cf. la notice de Jomard sur la vie et les travaux de ce savant, en tête de l’ouvrage intitulé Grammaire et dictionnaire abrégés de la langue berbère, Paris, 1844.

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