Chronique

Le Marchand de Kabylie

A ne pas confondre avec le marchand de Venise.

[Un homme, la soixantaine, porte un béret et une moustache grise. Il pousse un petit chariot. Il s’arrête et saisit sa canne. Il vend des sandwiches, des glaces et tout ce dont il peut mettre la main dessus.]

Marchand (criant) : Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici. Approchez ! Approchez ! On vend votre futur, on achète votre passé.  Des pantalons pour les femmes, des robes pour les hommes. Des glaces chaudes, des sandwichs froids…

Un jeune homme s’approche et l’interrompant…
Jeune homme : Qu’est-ce que tu vends ?
Marchand : Des appareils pour mal entendant ! Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Jeune homme : J’ai rien compris. Qu’est-ce que c’est que les déposables ?
Marchand : Quelque chose que tu ne peux pas porter. Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Jeune homme : Comment est-ce que tu peux vendre des glaces et des sandwichs en même temps ?
Marchand : Tu n’as pas à les manger en même temps ! Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Jeune homme : Non ! Je suis simplement curieux.
Marchand : Je ne vends rien pour soigner la curiosité. (Continuant à crier) Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Jeune homme : Je ne veux pas la soigner.
Marchand : Tu ferais bien. Parce que tu perds ton temps et maintenant cela devient grave… parce que tu veux me faire perdre même le mien. Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Jeune homme : Je veux acheter un portable. Qu’est-ce que tu as comme portables ?
Marchand (l’ignorant) : Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Jeune homme : Hé ! Tu m’entends ? Je veux acheter un portable.
Marchand (le Marchand retire un portable du chariot) : Voilà ! Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …
Jeune homme : Tu mets les portables et les sandwiches ensemble ?
Marchand : Tu n’es pas obligé de téléphoner en mangeant.
Jeune homme : Ils font combien ?
Marchand : Sept ânes chacun ! Des glaces, des sandwichs, des portables…
Jeune homme : Des ânes ? C’est quoi comme monnaie ça ? Je veux payer avec de l’argent.
Marchand : Moi, je vends mes portables avec des ânes comme monnaie d’échange.
Jeune homme : Où veux-tu que je trouve sept ânes ?
Marchand : Si je le savais, je vendrais des ânes. Des glaces, des sandwichs…
Jeune homme : Pourquoi ne me le vends-tu pas pour de l’argent. Et avec cet argent tu pourras acheter des ânes.
Marchand : Je suis ici pour vendre et pas pour acheter. (Le Marchand reprend le portable des mains du jeune homme)
Jeune homme : Admettons que je trouve sept ânes. Comment je vais te les ramener ?
Marchand : C’est ton problème ! Mais je peux t’aider en te disant : « Trouve sept amis qui pourront t’aider à les ramener ici ! »
Jeune homme : Mais je n’ai pas sept amis.
Marchand : Pourquoi veux-tu acheter un portable alors, si tu n’as pas d’amis ?
Jeune homme : J’ai des amis, mais je ne pourrais jamais les réunir tous en même temps.
Marchand : Tu peux réunir sept ânes, mais pas sept amis ?
Jeune homme : Oui.
Marchand : Tu as un problème. Ce n’est pas un portable dont tu as besoin, mais d’une autre vie. Et (regarde dans le chariot) je n’en ai plus j’ai vendu la dernière ce matin. Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.
Le jeune homme part en hochant la tête. (Le Marchand pousse le chariot en criant)

Deux jeunes garçons s’approchent de Marchand
Jeune garçon : Qu’est-ce que tu vends comme sandwichs ?
Marchand : Tout. Il n’y a qu’à demander.
Jeune garçon : Tout ? Tu es sur ? N’importe quel sandwich ?
Marchand : Oui, je suis sûr et toi tu es sourd ?
Les deux jeunes garçons rient.
Jeune garçon : Dans ce cas. Je voudrais un sandwich à la viande de sanglier.
Marchand : Au sanglier ? Certainement ! Combien de sandwiches veux-tu ?
Jeune garçon : Combien ? Bein…Un seul !
Marchand : Tu te fous de ma gueule ?
Jeune homme : Non.
Marchand : Tu crois que je vais tuer un sanglier pour un seul sandwich. (Continuant à pousser la charrette et à crier) Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …on vend tout ici.

Le Marchand arrive vers deux vieux qui sont assis sur la marche d’un escalier.
Marchand : Des glaces, des sandwichs, des portables, des déposables …tout est gratuit, demandez ! Tout est gratuit.
Un des vieux se lève vers lui.
Le vieux : J’ai bien entendu. Tout est gratuit ?
Marchand : Tout ! Absolument tout !
Le vieux : Et qu’est-ce que tu vends ?
Marchand : Tout ! Je vends tout…sauf la jeunesse. Je viens de vendre la dernière.
Le vieux : Je n’en veux pas avec l’Algérie d’aujourd’hui.
Marchand : Je vois que tu es indécis !! Il te reste quelques jours à vivre et moi quelques heures pour vendre…on ferait mieux de se dépêcher.
Le vieux : Hé ! Attends ! Donne-moi une glace !
Marchand : Et quoi comme glace ?
Le vieux : À la vanille ! J’aime la vanille.
Marchand : Il m’en reste plus !
Le vieux : Qu’est- ce qu’il te reste alors ?
Marchand (regarde dans le chariot) : Glaces aux Piments, tomates, œufs, harissa et aux frites et il me reste deux …aux oignons.
Le vieux : Hé ! Tu es sûr que c’est des glaces ?
Marchand : Ce n’est pas moi qui suis vieux !
Le vieux : Et les sandwiches ? Qu’est-ce que tu as…
Marchand : Tout ! Des sandwiches à la vanille, au chocolat, fraise des bois, cassis et pistache.
Le vieux : Donne-moi un sandwich à la vanille alors !!
Marchand : (Remettant sandwich au vieux) Voilà !! Cela fera 250 Dinars !
Le vieux : 250 dinars pour un sandwich à la vanille ? Hé ! Tu avais dit que c’était gratuit.
Marchand : Le sandwich est gratuit ! C’est les frais de livraison seulement.
Le vieux : Frais de livraison ? Je suis à deux pas de toi.
Marchand : La livraison, c’est un service pas une distance !

Le Marchand repart en criant.

Hmimi O’Vrahem

Précédemment mis en ligne le 1er novembre 2014

Merci de respecter notre travail.