Interview

L’opinion et Ferhat Mehenni

Ferhat Mehenni, leader du MAK (Mouvement pour l’Autonomie en Kabylie) pense fermement que l’instauration d’une autonomie régionale en pays kabyle dotée d’un parlement et d’un exécutif liés au pouvoir central à Alger est de nature à épargner à l’Algérie le démembrement et des drames. Il insiste également sur le fait que son mouvement est une organisation pacifiste, démocratique et tend la main aux décideurs à Alger en vue de trouver une solution politique sage au statut de la Kabylie dont le divorce, pense-t-il, avec le pouvoir central algérien est évident et largement consommé.

Le chanteur et politique opposant qu’est F. Mehenni porte toujours dans ses tréfonds les séquelles de l’assassinat de son fils aîné à Paris et s’oppose à la thèse officielle de l’Algérie concernant le dossier du Sahara marocain sur la base de ce qu’il estime être le fondement même des valeurs et du réalisme.

Il considère, de ce fait, la proposition marocaine d’autonomie pour le Sahara de loin plus sage que la position sclérosée du gouvernement algérien, car cette initiative a au moins le mérite de prôner la paix et d’épargner les vies humaines.

La proposition marocaine d’autonomie au Sahara est empreinte de sagesse, contrairement à l’attitude rigide du gouvernement algérien.

Entretien avec Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie

L’Opinion : Vous êtes président d’un mouvement qui proclame l’autonomie d’une partie du territoire algérien pour des causes identitaires et culturelles. Êtes-vous conscient des défis et entraves qui se dressent sur votre chemin en face d’un système qui vous accuse de trahison et de dépendance ?

Ferhat Mehenni : Le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) prône l’autonomie régionale pour éviter l’implosion de l’Algérie. Nous sommes un mouvement pacifique qui table sur l’action démocratique pour parvenir à nos objectifs. Que le régime militaire algérien nous diabolise, il est dans son rôle. C’est dans sa nature de jeter l’anathème sur tous ceux qui s’opposent à lui. Il a peur de l’effet de contagion sur les autres régions du pays. Quant à la société kabyle, elle a très vite montré de l’intérêt pour la revendication autonomiste et c’est ce qui nous a encouragé à continuer sur notre lancée. Cela fait plus de huit ans maintenant que nous existons. Nos efforts ont fini par être couronnés de succès puisque le 20 avril 2009, à l’appel du MAK, plus de 20.000 personnes sont descendues dans les rues de Tizi-Ouzou. D’autres démonstrations sont à l’ordre du jour de cette année et montreront notre ancrage réel au sein de la société kabyle.

Nous sommes conscients des défis que nous relevons et nous en assumons les risques. Je vous rappelle qu’en juin 2004, on a déjà assassiné mon fils aîné pour me châtier de ma témérité à avoir revendiqué cette autonomie régionale. Mais quand on a la force de ses convictions, le cours de l’histoire ne s’arrête pas devant des écueils, quels qu’ils soient.

L’Opinion : Une partie de la presse algérienne vous accuse de militer pour le compte du MOSSAD et d’Israël. Que répondez-vous ? ?

FM : Ce sont les services algériens qui opèrent derrière des prête-noms journalistiques pour riposter à notre succès le 26 mai à la tribune des Nations Unies. La seule parade que le régime ait trouvée c’était de dire que nous nous réunissions avec le Mossad et la CIA à l’ambassade d’Israël à Paris. J’ai engagé des poursuites judiciaires à ce sujet. La justice algérienne ne s’est pas encore prononcée.

Mais puisque vous m’en donnez l’occasion, je démens solennellement ces allégations mensongères. D’ailleurs, dans le même article qui se retrouve sur tous les sites internet islamistes dans lesquels des appels au meurtre contre ma personne sont lancés, la télévision marocaine a été citée comme le média à travers lequel j’aurais annoncé un congrès du MAK pour le mois d’août dernier et pour déclarer la guerre à l’armée algérienne. Une pure invention du DRS pour diaboliser le MAK et son président. Vous voyez, si on s’en tient à ces assertions, cela aurait fait bientôt six mois depuis que le congrès aurait dû se tenir et la guerre être déclarée, il n’en est rien. Les mensonges sont toujours rattrapés par le temps.

L’Opinion : Vous faites constat de l’état de divorce politique consommé entre la Kabylie et le pouvoir algérien, est-ce une raison valable et suffisante pour revendiquer l’autonomie alors que le différend peut paraître d’ordre strictement culturel ? Ne craignez-vous pas le pire ? ?

FM : C’est parce que le divorce est consommé entre le pouvoir algérien et la Kabylie que l’autonomie est autant une nécessité vitale qu’un moindre mal à ce qui risque d’arriver, si la situation stagnait. Nous sommes plutôt une soupape de sécurité contre la dislocation du pays. Sans le MAK et sa revendication autonomiste, cela irait droit vers la désintégration de l’Algérie. C’est la politique du régime algérien, calquée sur le modèle serbe en ex-Yougoslavie, qui va nous conduire à l’irréparable. Avant qu’il ne soit trop tard, je lance un appel aux décideurs du pays pour prendre en compte notre revendication. Le MAK est un mouvement qui leur tend la main pour une solution politique de raison, à même d’éviter les drames inscrits dans la logique qui a prévalu en ex-Yougoslavie jusqu’ici.

L’Opinion : Vous avez soutenu le plan d’autonomie au Sahara proposé par le Maroc pour mettre fin au conflit artificiel qui l’oppose au Polisario. Par cette prise de position vous vous êtes opposé à la position officielle du gouvernement algérien qui est totalement contre les intérêts au Maroc. Croyez-vous que l’Algérie s’oppose a la proposition marocaine par peur d’être dans le futur contrainte de s’y conformer pour le cas de la Kabylie et des Touaregs au sud ? ?

FM : Je m’oppose à la position officielle du régime algérien sur la base de valeurs et de réalisme. Je suis contre la guerre et l’effusion de sang. La proposition marocaine d’une autonomie régionale pour le Sahara me parait plus empreinte de sagesse que l’attitude rigide du gouvernement algérien sur la question. Elle est moralement supérieure à la guerre. Pour que les efforts de nos peuples soient orientés vers la construction de nos économies respectives, de nos cultures et de nos identités, nous avons tous besoin de paix. Je n’ai pas le droit de me prononcer à la place des autres, mais si j’étais un dirigeant du Polisario j’en aurais accepté au moins le principe. Le reste est du domaine de la négociation.

Si le gouvernement algérien, dans les jours à venir, propose au MAK de négocier les modalités de l’autonomie régionale pour la Kabylie, nous accepterions volontiers.
Par ailleurs, sur le plan de la simple logique et du bon sens, comment se pourrait-il que le MAK qui revendique une autonomie pour la Kabylie viendrait à s’opposer à la proposition marocaine de même nature pour la région du Sahara ? Il le ferait au nom de quelle cohérence ?

L’Opinion : Est-ce que vous pensez que vous avez les moyens humains et financiers pour aller jusqu’au bout dans votre lutte qui s’annonce longue et périlleuse ? Quels sont vos appuis à l’intérieur comme à l’extérieur de votre pays ? ?

FM : Nous comptons avant tout sur nous-mêmes pour mener notre combat à son terme. Quels que soient les soutiens amicaux que nous puissions recevoir, il n’y a que le terrain qui, en dernière instance, déterminera le rapport de force par lequel on obtient une victoire. Notre volonté d’aller jusqu’au bout de cette revendication est suffisante pour cet objectif. Nous souhaiterions cependant que tous les Nord-Africains, riches de leurs nombreuses identités, aillent ensemble vers la généralisation des autonomies régionales là où cela est nécessaire. Nous construirons un ensemble géopolitique autrement plus solidaire et plus viable que la misérable UMA où l’on se fait un malin plaisir à se piéger les uns les autres au lieu de se concerter sur la meilleure manière de construire un avenir viable pour tous les peuples de cette région du monde.

L’Opinion : Vous êtes le leader d’un mouvement autonomiste mais on vous reproche d’être constamment hors des frontières de l’Algérie. Où se conçoit l’essentiel de votre lutte ? ?

FM : J’étais sur le terrain de 2001 à 2009. Depuis qu’on amnistie en Algérie les criminels de sang, les terroristes islamistes d’El Qaeda, Bouteflika et consorts se sont tournés, pour leur passe-temps favori, vers la répression des démocrates et surtout des autonomistes. Après m’avoir assassiné mon fils âgé de 30 ans en juin 2009, ils m’ont exilé par la grâce d’un mandat d’arrêt qui ne repose sur aucun argument juridique hormis celui de mettre en prison un opposant gênant pour eux.

Mais la lutte pour l’autonomie de la Kabylie n’est pas une propriété personnelle, un intérêt privé. C’est le combat du peuple kabyle qui donne à son cadre de lutte le MAK, des femmes et des hommes de qualité. Ce sont ces derniers qui œuvrent chaque jour avec abnégation et conviction à faire de l’autonomie kabyle une réalité. Grâce à eux, la marche du 20 avril dernier a drainé pas moins de 20.000 personnes dans la rue à Tizi-Ouzou pour porter ensemble cette revendication autonomiste.
L’autonomie régionale n’a jusqu’ici, jamais disloqué un pays. Au contraire, nous sommes le meilleur rempart contre ce danger. Que chacun se le dise : Le MAK est une solution et non un problème. Il est la paix et non la guerre.

L’Opinion : Vote approche pour l’autonomie de votre région s’accorde dans divers points et principes avec la proposition marocaine d’autonomie de ses provinces du Sud. Est-ce une simple coïncidence ? Ou est-ce que vous y êtes référencé pour élaborer votre projet de l’autonomie pour la Kabylie ? ?

FM : Honnêtement, je ne me suis pas posé la question de savoir qui du Maroc ou du MAK a été le premier à faire cette proposition d’une autonomie régionale. Cette question n’a pas de sens pour moi dans la mesure où cette solution n’a été inventée ni au Maroc ni en Kabylie. Elle est déjà en vigueur depuis longtemps dans de nombreux pays développés. Aujourd’hui, même le Soudan confronté à une guerre identitaire entre Sud et Nord depuis des décennies, vient de trouver un compromis entre belligérants pour une autonomie du Sud-Soudan.

Par ailleurs, les conceptions et les applications de l’autonomie sont différentes d’un pays à un autre. De ce fait, celle que revendique le MAK peut recouvrer une autre réalité que celle que prévoit le Maroc pour sa région du Sud.

Entretien réalisé par Rachid ZEMHOUTE, 06/10/2010

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