Niquer la réalité
Récit initiatique conçu, interprété et chanté par Estelle Meyer au théâtre Les plateaux sauvages et mis en scène par Margaux Eskenazi avec la complicité des musiciens Grégoire Letouvet et Pierre Demange.
Naître femme, est-ce une fatalité ? Pour répondre à cette question, Estelle Meyer invoque la femme qu’elle admire tant et qui lui permet de résister aux injonctions Gisèle Halimi. Vivante ou morte, celle-ci constitue une étape importante dans le devenir des femmes qui se réfèrent à elle pour résister.
Bien plus touchante encore, bouleversante et éblouissante, Estelle Meyer consulte son propre corps, ses émotions et ses souvenirs pour écrire une joyeuse ode à la femme, et lui rendre un triomphant hommage.
« J’ai découvert, époustouflée, l’œuvre de Gisèle Halimi. Avec sa clairvoyance et sa ferveur, cette femme tire tout le continent humain. Son combat, sa route, ses forces me devancent, me donnent du courage et du sang pour faire battre mes pas. La sensation d’un rythme cardiaque commun, rappelant l’essentiel : le grand hurlement de vie qui repousse les forces de la mort. Il y a en moi tout un continent qui demande à crier, à chanter, à guérir, à dire. »
Et elle chante bien. Estelle chante comme s’il en allait de sa vie, accompagnée par deux merveilleux musiciens qui ponctuent ses révoltes et ses espoirs. Grégoire Letouvet — au piano et clavier — et Pierre Demange aux percussions ont tous deux participé aux arrangements musicaux.
« Après une centaine de concerts et un premier spectacle accouché en 2019, il était évident pour moi de continuer la route avec ces deux compagnons si précieux : […] ces deux frères féminins, deux hommes à mes côtés pour panser et prendre soin du féminin, de nos féminins ».
Estelle Meyer évoque des souvenirs intimes et les batailles qu’elle a dû mener dans sa propre famille pour choisir la vie qu’elle voulait mener.
C’est justement cette bataille intime qui lui a permis de trouver les mots pour s’engager dans un combat plus « sororal ». Elle n’hésite pas à provoquer son public qu’elle force à devenir actif en le sollicitant au cours du spectacle pour le sortir d’une éventuelle passivité.
« Dans une lignée, il y a ce qui a été dit et ce qui ne l’a pas été. Il y a les absurdités, les traumatismes, l’amour, la sensualité, le silence, l’étrange, le pouvoir, la jouissance, des bébés sortis du ventre des femmes. Le travail de Gisèle part d’une cause intime pour faire avancer le tout. Le combat, la défense d’une femme devenant celui de toutes les femmes et faisant avancer la société toute entière ».
Le public est happé dès les premières répliques.
Une femme toute ronde au ventre proéminent occupe toute la scène.
On ne peut ignorer ce ventre tout rond qui est presque le personnage principal de cette pièce. En effet, cette femme porte le monde.
Nous la voyons explorer ses souvenirs avec force et rage. Il fallait résister aux injonctions multiples : Celles de ses parents et de sa mère en particulier, celles de sa famille ou de la société toute entière.

Les écrits de Gisèle Halimi lui donnent la force de continuer son chemin.
Non pas qu’elle veuille oublier son sexe féminin. Bien au contraire, elle le glorifie autant qu’elle le peut.
« J’ai foi dans le théâtre et dans les mots pour porter les peurs profondes qui nous habitent. Pour rendre universel l’intime et comme des îles dans le noir, semer des lucioles d’espoir ».
Catherine Belkhodja