Chronique

Procès Hend Sadi – Salem Chaker

Tamazight, diffamation et tribunaux

Les avatars judiciaires de la polémique autour de l’enseignement du berbère au baccalauréat

La gestion de la préparation à l’épreuve de berbère au bac par le ministère de l’Éducation nationale français n’a pas seulement créé une polémique. L’affaire a aussi été portée devant la justice. Hocine Sadi avait porté plainte contre Salem Chaker pour diffamation. L’audience s’est déroulée à Paris le 18 janvier 2006. Compte-rendu.

L’enseignement de la langue berbère dans les lycées de France constitue un dossier explosif. Sa gestion par le ministère de l’Éducation nationale français n’a pas seulement créé une polémique en 2004-2005. L’affaire a aussi été portée devant la justice. Suite à la publication d’un article dans le journal Le Monde, Hocine Sadi, ex-président du RCD-France, avait porté plainte pour diffamation contre Salem Chaker, directeur du Centre de recherches berbères de l’INALCO. L’audience s’est déroulée au Palais de justice de Paris le 18 janvier 2006. « L’enseignement du berbère en France est aussi une affaire politique ». C’est sous ce titre que Le Monde du 15 février 2005 évoque la tempête autour de l’attribution de d’une mission relative à la préparation de l’épreuve de tamazight. Pire, l’article se trouve en une du quotidien. Au début de l’année 2004, le gouvernement Raffarin annonce sa volonté de créer une classe pour préparer les bacheliers à passer l’option d’écrit de l’épreuve facultative de Berbère au baccalauréat. Jusque-là il n’existait aucun cours de ce type.

La mission d’élaboration de cet enseignement semble d’abord devoir être confiée à Salem Chaker, professeur de berbère à l’INALCO (Langues Ô), qui coordonne cette épreuve depuis 1995. Mais à la rentrée 2004, cet universitaire apprend par courrier que quelqu’un d’autre a été nommé à sa place : Hocine Sadi. Ce dernier se voit confier la mission, ainsi que l’enseignement à un groupe d’élèves, au lycée Lavoisier à Paris. S’ensuit une bataille rangée entre les deux hommes par sites Internet interposés. Mais après la parution de l’article du Monde, il semble que l’État ait fait marche arrière : la mission confiée à Hocine Sadi a été annulée. Par la suite, l’intéressé a porté plainte pour diffamation. Voici le passage incriminé en une du Monde.

(…) Non seulement, explique Salem Chaker, cet imprévu rival ne peut se prévaloir que d’une agrégation de mathématiques, mais il est officiellement lié à un parti politique proche des cercles dirigeants algériens. La « principale qualité » de Hocine Sadi, insiste Salem Chaker, « est d’être le frère de Saïd Sadi », dirigeant-fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un parti « à recrutement kabyle, très proche du pouvoir algérien, notamment de certains généraux ». La « recommandation d’Alger » a valeur de diplôme, ironise l’éconduit. (…)

Le procès

Estimant que les propos de Salem Chaker le taxent d’incompétence et d’être pistonné par son frère supposé proche des dirigeants algériens, Hocine Sadi s’est tourné vers la justice. Comme il s’agit d’un article, l’affaire se juge à la 17e chambre du Palais de justice de Paris, celle des délits de presse. Dans le droit français, c’est à l’accusation de prouver qu’il y a eu diffamation. Maintenant que l’affaire est présentée voyons le déroulement de la séance.

La magistrate interroge Salem Chaker pour savoir s’il a bien tenu les propos mentionnés dans l’article. « C’est une mise en forme assez éloignée de mes écrits » répond le chercheur. Jouant la carte de la transparence, la défense explique que les échanges entre la journaliste et l’universitaire se sont déroulés uniquement par écrit et que tous les documents ont été versés au dossier. Au cours de sa plaidoirie, l’avocat de Salem Chaker s’étonne même que la rédactrice du Monde ne soit pas poursuivie. La défense explique que Hocine Sadi n’a pas de diplôme spécifique en berbère mais qu’il a « des qualifications comme d’autres en ont dans le champ associatif et culturel et comme locuteur ».

L’autre partie répond que l’objectif est de mener une réflexion sur l’épreuve du bac en tamazight, rien de plus et dénonce un « chantage » de l’INALCO, notamment à travers des sites Internet (allusion à peine voilée au site Tamazgha.fr, qui avait pris parti pour le Pr. Chaker lors de la polémique). Quant au fait de ne pas être diplômé en berbère, Hocine Sadi (accompagné par de nombreux « supporters » présents dans le public) explique que des universitaires tels que Saïd Doumane et Hacène Hirèche enseignent cette langue sans qu’elle soit leur principale spécialité. Ceci afin de décrédibiliser l’argument « d’incompétence liée à l’absence de diplôme spécifique » avancé par Salem Chaker : en effet, ces deux chercheurs sont réputés proches du Pr Chaker, particulièrement Saïd Doumane, qui enseigne…à l’INALCO, au centre de recherches berbères dirigé par Salem Chaker lui-même. Interrogé sur son mandat de président du RCD France jusqu’en 2004, Hocine Sadi répond que « c’est une association loi 1901 qui défend les mêmes idées que le parti ».

« Nous restons un peu sur notre faim. Je n’arrive pas à me déterminer. » résume le procureur. L’audience a évité d’aborder de trop près les divergences politiques entre les deux hommes. La défense estime que les propos originels de Salem Chaker n’ont pas été fidèlement reproduits dans l’article incriminé. Quant à Hocine Sadi, il a tenté de justifier sa nomination à la coordination de l’épreuve de berbère. À la sortie de l’audience, aucun des protagonistes n’a souhaité faire de déclaration. La décision du tribunal sera connue en mars 2006.

Rezki Mammar, 23 janvier 2006

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