Femmes

Quid de l’héritage des femmes en Kabylie ?

Les politiques parlent d’égalité, de liberté mais ne remettent pas en question les droits de la femme dans la société kabyle, plus spécialement la question des successions. Est-il normal que, depuis 1748, les femmes n’héritent de rien ? Elles n’héritent ni de ses parents, ni de son mari. Personne n’en parle donc je vous pose la question messieurs les politiques et messieurs les militants : Est-il correct au XXIe siècle que cette coutume, qui ne vous honore pas, soit toujours en vigueur ?

J’ai partagé la thèse d’un auteur du XXe siècle qui dénonce l’exhérédation des femmes en Kabylie. Vous trouverez les liens des autres articles de cette thèse à la fin de ce premier article. Bonne lecture.

« Une des questions qui permet de suivre le mieux l’évolution du droit coutumier berbère est celle de l’exhérédation des femmes en Kabylie. Héritière ab intestat jusqu’en 1748, la femme cesse de l’être à cette date. Elle subit alors le sort le plus misérable.

Puis, au contact de notre civilisation, les mœurs kabyles lui redeviennent plus favorables. Des testaments, des donations, des habous de plus en plus nombreux sont constitués en sa faveur, de telle sorte qu’on peut penser aujourd’hui que si les Kabyles étaient consultés, ils consentiraient à replacer la femme dans ses droits successoraux.

Certes, ils ont le désir de maintenir intact le bien de famille et peut-être donneraient-ils aux héritiers mâles une possibilité de racheter la part des filles quittant le toit paternel.

Mais nous venons de voir qu’ils n’ont aucun moyen légal de rajeunir leurs kanouns archaïques.

Ils peuvent seulement, dans des actes de disposition, dans des habous notamment, manifester leur volonté individuelle en faveur des femmes de leur famille.

Qu’au moins la jurisprudence ne les en décourage pas, en opposant à leur intention nettement exprimée, des subtilités juridiques qu’ils ne comprennent pas. […]

De sa naissance à sa mort, la femme kabyle est une esclave sans droits, abandonnée à l’homme pour lui servir de jouet et de domestique.

Dans quelques familles, elle obtient le respect qu’elle mérite. Mais ce sont des cas isolés, vagues reflets de notre civilisation, souffles de pitié vite réprimés par une loi inhumaine.

Dès qu’elle est nubile, la jeune fille est vendue par ses parents, à un époux, sur le choix duquel elle-même n’est pas consultée [1].

Devient-elle veuve ? le droit de la remarier en la revendant appartient, non seulement à ses parents, mais encore aux héritiers de son premier mari décédé[2] ! Est-elle chassée par son mari, répudiée !

« elle ne peut être remariée par ses parents qu’autant que le prix de vente aura été remboursé au mari. Or, celui-ci peut exiger des prétendants une somme dont il fixe arbitrairement le chiffre, et qui peut, par son exagération, constituer indirectement un empêchement à toute nouvelle union [3] ».

La femme ainsi vendue à un inconnu, peut-elle au moins rompre les liens du mariage, si son union n’est pas heureuse ? Non ! le divorce n’existe pas dans les coutumes kabyles.

Elle peut seulement quitter le domicile conjugal et se retirer dans sa famille. On dit alors qu’elle se met « en état d’insurrection ». Elle est néanmoins mariée et ne peut, par conséquent, pas contracter une nouvelle union [4].

Heureuse la femme qui obtient que son mari prononce contre elle la formule de la répudiation qui la rend libre. Encore avons-nous déjà dit que son époux pouvait mettre, à son remariage, certaines conditions souvent irréalisables. La répudiation équivaut alors à une interdiction absolue de mariage ; la femme est thamaouok’t, c’est-à-dire « retirée de la circulation [5]».

Pauvre marchandise invendable que cette malheureuse qui n’a quelquefois que quinze ou seize ans ! Et qu’elle ne s’avise pas de la moindre légèreté ; qu’elle ne donne prise à aucun soupçon d’inconduite, sinon elle s’expose au châtiment le plus cruel ! Nos Cours Criminelles, nos Tribunaux voient, à chacune de leurs audiences, le défilé lamentable de toutes ces misères. »

Pierre Hacoun-Campredon, Étude sur l’évolution des coutumes kabyles, spécialement en ce qui concerne l’exhérédation des femmes et la pratique du hobous, 1921.

À suivre.

A lire les autres articles tirés de la thèse citée à la fin de l’article :

Quid de l’héritage des femmes en Kabylie ?

Exhérédation des femmes kabyles (II)

Le sort de la femme dans la coutume kabyle

Statut successoral de la femme kabyle depuis la délibération de 1748

Influences contre l’exhérédation des femmes kabyles

Pratique du hobous en Kabylie

Notes :

[1] Hanoteau et Letourneux, t. II, p. 150.

[2] Hanoteau et Letourneux, t. II, p. 151. (Voir cependant supra p. 75).

[3] Id., t. Il, p. 177.

[4] Id., t. II, p. 182.

[5] Hanoteau et Letourneux, II, p. 178.

Merci de respecter notre travail.