Politique

Abdelkader Hadj Hamou

Il est intéressant de connaître le point de vue des lettrés de l’époque coloniale vis-à-vis de la colonisation française et de ses bienfaits ou méfaits. Les propos de ce professeur de medersa ne manqueront pas de vous étonner, de vous scandaliser ou de vous ravir.

Abdelkader Hadj Hamou, né en 1891 à Miliana, fils du cadi de la ville a été vice-président de l’Association des Écrivains Algériens fondée par des Français algérianistes. Franc-maçon, « Indigène citoyen français ». Professeur d’arabe, titulaire de la chaire de la Grande Mosquée pendant près de 20 ans ; mouderrès à Saint Eugène. Diplômé d’interprétariat judiciaire (tribunaux de 1ère classe). Mort en 1953.

Il a fait ses études à la medersa d’Alger, il poursuit une carrière professionnelle dans la justice sur les traces de son père. Parfait bilingue, il est également professeur d’arabe et diplômé d’interprétariat judiciaire. En 1930 lors des célébrations du centenaire de la présence française en Algérie, il prononce à Sidi Fredj un discours « au nom des écrivains français d’origine arabo-berbère ». Abdelkader Hadj Hamou est l’écrivain algérien de langue française de l’entre deux guerres qui a le plus de contacts avec les auteurs contemporains de la littérature coloniale. Franc-maçon et ami de Robert Randau et de Jean Pomier, il occupe une place importante au sein du mouvement algerianiste. Après la seconde guerre mondiale, il est invité à devenir le vice-président de l’Association des écrivains algériens. Il débute dans la vie littéraire avec une nouvelle en 1925 dans un recueil dont la préface est écrite par Louis Bertrand. L’année suivante il publie le roman Zohra la femme du mineur, puis quelques années après, sous un pseudonyme et avec Robert Randau, Les compagnons du jardin, un dialogue sous forme de récit, considéré comme « la bible de la coexistence entre communautés européennes et indigènes ». On lui doit également plusieurs articles dans les journaux et revues littéraires de l’époque, ainsi qu’une série de contes publiés dans les années quarante. Pour ses publications il a souvent utilisé des pseudonymes comme (El Arabi ou Abdelkader Fikri), et en conséquence possédait deux adresses différentes à Alger.

Fidèle à l’islam, il rêvait d’une Algérie à jamais française, d’une assimilation totale ou la religion de l’autre serait respectée et connue de chacun. A travers son dialogue avec Robert Randau ou à travers ses publications dans les revues, se dessine une vision idéalisée de la coexistence entre les différentes parties de la population de l’Algérie. Beaucoup d’ambiguïtés, une occultation de la réalité coloniale et une très forte acculturation caractérisent ses écrits qui étonnent et qui interpellent le lecteur d’aujourd’hui sur l’intégrité de ses prises de position. Pour mesurer la profondeur de cette assimilation qui veut tout accomplir pour correspondre au discours idéologique dominant de l’époque, voici juste quelques passages étonnants parus dans le mercure de France :

« La France étant par le cœur la plus grande puissance musulmane du monde, tout Français a pour devoir de connaître l’islam et les musulmans »

Ou en parlant de l’influence de la France sur les pays musulmans :

« Ils commencent en Algérie et au Maroc, depuis que le drapeau français y flotte, à comprendre leur religion qu’ils ignoraient […] La France est venue, ses écoles continuent à dissiper les ténèbres. »

On comprend qu’Abdelkader Hadj Hamou ne soit pas apprécié par les nationalistes algériens et que ses œuvres soient rapidement oubliées par les historiens de la littérature algérienne de langue française. Si son roman, Zohra, la femme du mineur, a été accueilli avec beaucoup de critiques à cause des maladresses dans l’expression et des lourdeurs de style, c’est surtout le dialogue avec Robert Randau, les compagnons du jardin qui a soulevé une critique violente et acerbe, essentiellement à cause de son idéalisme abstrait occultant les réalités du système colonial et de la vie quotidienne des musulmans de l’Algérie de l’entre-deux-guerres. L’itinéraire intellectuel d’Abdelkader Hadj Hamou et sa cohérence interne en font sans doute le plus problématique de tous les auteurs musulmans d’Algérie de l’époque. En effet, comment lire et comprendre aujourd’hui un discours qui est tellement empreint des ambiguïtés nécessaires et illusions inévitables de l’époque ?

Discours prononcé en 1930

Célébrations du centenaire de la présence française en Algérie.

Mouderrès (1), au nom du Personnel enseignant des Mosquées.

Le 14 juin 1830 nos aïeux prirent peur. Allaient-ils devenir chrétiens malgré eux ? Ils ne connaissaient pas l’esprit libérateur et large de la magnanime nation qui réprouve l’asservissement de l’esprit.

Les troupes débarquèrent et notre terre se mit à s’ouvrir partout et, comme dans les Mille et une Nuits, en jaillirent des jardins, des sources, des roseraies et le pampre aux couleurs vertes de l’espérance et de la vie.

Les troupes mirent pied à terre et une baguette magique transforma nos esprits querelleurs et anarchiques en intelligences vives au service de la paix et de la discipline.

Nos mosquées furent respectées et une parole d’honneur, jamais démentie un instant, nous permit d’éclairer nos frères, enfants ou hommes, sur le culte d’Allah et de la vie. Nous pouvons enseigner à nos frères que l’islam n’est pas une religion de fanatisme, mais de tolérance et de progrès, et nos auditeurs des mosquées d’Algérie sont ravis, nous comprennent et nous suivent dans l’amour commun de la sainte République française laïque.

Oui, frères musulmans, nous avons le droit de nous réjouir maintenant et de louer Allah d’avoir appelé sur nous le bonheur en nous envoyant ces hommes, aujourd’hui nos amis et nos frères qui vinrent nous délivrer de l’ignorance le 14 juin 1830.

Oh ! La date merveilleuse ! Mais elle est inscrite au radium de l’exultation de nos âmes vibrantes ! Mais elle est notre force vitale.

Commerçants, cultivateurs, docteurs, professeurs, ouvriers de la plume ou de la main, nous tous indigènes, nous tenant par la main, déposons aujourd’hui à vos pieds, Français, nos frères un bouquet de fleurs représentant notre gratitude que les siècles n’effaceront pas. N’est-ce pas Apulée, n’est-ce pas Ibn Khaldoun, n’est-ce pas Mahomet, toi notre Seigneur aimé qui donna à l’élite humaine le rang des prophètes ?

Pouvons-nous oublier le 14 alors que dans un mois, le 14 aussi nous célébrerons avec vous chers frères français, la prise de la Bastille ? Le 14 juin vous nous avez affranchis pour nous élever, sans restriction aucune, jusqu’à vous. Le 14 juillet, sous la poussée irrésistible de vos philosophes, les nôtres aussi maintenant, vous avez supprimé la manie de l’autocratie, vous avez abattu les dernières citadelles de l’hypocrisie.

Si aujourd’hui nos consciences sont libres de toute entrave, nous le devons à la sagesse du peuple de France ; si nous pouvons discuter de tout, comme vous, frères français, c’est la République de 1789 qui en décida ainsi, c’est dans vos écoles que nous avons reçu des lumières aussi vives que douces.

France de Bossuet, France de Voltaire, France de Danton, France magnanime, de toutes les libertés humaines, salut !

Au nom du personnel enseignant de toutes les mosquées de l’Algérie, au nom des écrivains français d’origine arabo-berbère, sois bénie, va toujours de l’avant vers la libération de l’esprit humain, né sans entrave.

Et toi, Sidi Ferruch, marabout symbolique et accueillant, et toi, Sidi Fredj qui permis aux armées du bonheur de débarquer sur cette terre autrefois champ de bataille, aujourd’hui usine des inventions scientifiques, palais des poètes et des artistes , toi, marabout vénéré, qui sus semer la bonne parole, regarde, si tu le peux, ce peuple frère qui se donne l’accolade avec un amour aussi sincère qu’émouvant.

Allah, quels pas de géant nous avons fait, guidés par une main maternelle souvent invisible, ta main, France généreuse, ta main qui enseigne en caressant.

Crions, crions sans nous lasser :

Gloire à, la France laïque, pays de l’idéal humain !

Gloire à l’islam tolérant !

Extrait du livre Le roman algérien de langue française de l’entre-deux-guerres, Discours idéologique et quête identitaire de Ferenc Hardi publié chez l’Harmattan, 270 pages.

Précédemment publié en septembre 2005.

Note :

(1) Mouderrès c’est-à-dire professeur dans les mosquées

Merci de respecter notre travail.