Chronique

Une once de lucidité

Les personnes qui souffrent de troubles mentaux tendent à vivre dans le déni. Dites à un fou qu’il est fou, et écoutez sa réponse. Ces gens, pour ne pas se reconnaître malades, rejettent la maladie sur les autres. L’inversion accusatoire.

Il en va de même pour les sociétés malades. Elles sont incapables de se remettre en question, car elles se croient saines. Elles mettent tous sur dos d’un complot gouvernemental. Le syndrome de la soi-disant « main étrangère ». Je ne dis pas que les complots n’existent pas. Mais tout n’est pas complot.

Le lynchage est quelque chose de culturel en Kabylie, c’est une tradition tribale, il faut le reconnaître. C’est ainsi que se font châtier les présumés voleurs dans les « souks[1] », n’est-ce pas ? Sans parler des femmes, que l’on exécutait à coup de fusil, pour une raison ou une autre. Enfants, accompagnés de nos parents, nous avons tous assisté à – au moins – une scène de lynchage dans un marché.

Nous devons assumer la dimension barbare de notre culture. Cela constituerait un premier pas vers la guérison.

Même en admettant que les meneurs dans l’exécution de ce type soient des services algériens, de la CIA ou du Mossad, il n’en reste pas moins que toute la foule a participé. Seules deux personnes ont tenté de calmer la foule, en vain. Les militants du MAK qui ont filmé toute la scène, tout en diffusant un direct sur Taqvaylit TV, ne sont pas intervenus. Bien au contraire, ils jubilaient à l’idée de voir leur rêve de Kabylie ancestrale et archaïque se réaliser devant leurs yeux.

Certains internautes, et je les comprends, s’interrogent sur la présence d’un individu filmé avec la victime un jour avant sa mort, mais filmé encore une fois, mais cette fois-ci en train de participer au lynchage. Cette personne, je la nommerai « X ».

X est peut-être un agent secret, tout est possible. Mais peut-être qu’il ne l’est pas. Probable qu’il soit un citoyen qui, parmi tant d’autres, ont accueilli Djamel. À souligner que ce dernier est un étranger qu’ils ne connaissaient très probablement pas. Quand il a été arrêté par la foule, celle-ci était certaine que l’individu était coupable. X s’est peut-être tout connement dit : « Ce FDP a prétendu vouloir nous aider, alors qu’en réalité sa véritable mission est de mettre le feu ! Donnons-lui une bonne leçon ». S’il était un agent, il aurait masqué son visage. Il aurait disposé d’assez de moyens et de ruse pour ne pas garder les mêmes vêtements deux jours de suite.

Quant à l’homme exécuté, je m’interroge toujours sur ce qu’il foutait à cet endroit, dans une voiture sans immatriculation, et avec des matières inflammables, sans n’être accompagné de quiconque de la région.

On se penchera sur cette question le moment venu. Désormais l’heure est à l’entraide et la solidarité. Et n’oubliez pas de toujours prendre vos précautions concernant le COVID, je vous rappelle qu’il n’a pas disparu.

Djeff Khenane, 16 août 2021

[1] Marchés.

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