Livres

Yasmina Khadra plagiaire

Ce que Yasmina Khadra doit à Youcef Dris

Au mois de septembre dernier je reçois dans ma boîte aux lettres une enveloppe qui contient un roman. L’auteur : Youcef Dris, algérien, inconnu en France et même dans son propre pays, est un écrivain touche à tout : récit, roman, poésie ; il est également journaliste.

Roman ? Dès la 4e de couverture, j’ai été très surpris par la présentation du livre qui me rappelait l’histoire de ces deux amants (Jonas & Émilie) dans le dernier roman de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit. Mais je suis resté prudent. Je me suis dit que ce n’est pas possible : un homme aussi intègre et connu que Yasmina Khadra ne peut pas faire une chose pareille. À ce moment-là, j’ignorais encore qu’il avait déjà été contraint de retirer un de ses romans des librairies, et que ce premier plagiat était inscrit sur le site d’une encyclopédie.

Parce que j’ai eu un débat avec lui l’année dernière, c’est donc à moi de faire le sale boulot. Depuis septembre dernier, j’avais dans ma bibliothèque deux romans qui contiennent la même histoire et je ne le savais pas. Yasmina Khadra est doté d’un culot phénoménal. À ma connaissance, il est le seul romancier, dans l’histoire de la littérature française, à avoir réclamé aussi stupidement un prix littéraire pour un livre qui n’est rien d’autre qu’un plagiat caractérisé.

Pire que le plagiat, le pillage. Son dernier roman est une pâle copie d’un récit paru en 2004, une histoire véridique d’un amour impossible entre une pied-noir et un Algérien, une histoire qui a déjà été racontée, photos à l’appui, quatre ans auparavant, par l’écrivain algérien Youcef Dris dans un livre de 142 pages : Les amants de Padovani, un excellent récit, sans dialogues superficiels ni niaiseries, un récit publié aux éditions Dalimen, et uniquement en Algérie.

Sur plus de 400 pages, Yasmina Khadra a, dès la fin de la première centaine, repris à son compte tout le récit de Youcef Dris pour en faire un médiocre roman de gare, une histoire à l’eau de rose, digne des pires romans d’amour, une histoire sans queue ni tête qui a dû faire pouffer de rire l’auteur des amants de Padovani.

Voici ce qu’en disait déjà un lecteur troublé, Abdallah, au mois de sep. 2008 :

« Ce roman de Yasmina Khadra (2008) me fait penser étrangement a du déjà vu ou lu. En effet, l’histoire ressemble étrangement à celle d’un autre roman Les Amants de Padovani de l’auteur algérien Youcef Dris paru en mars 2004 et présenté au Salon du livre à Paris où je l’ai acheté. Le héros de Khadra débarque à Oran, celui de Dris à Alger. De modeste condition, ils sont tous deux scolarisés ; chose pas aisée en cette période coloniale pour des indigènes. Ils tombent amoureux tous deux d’une européenne, Émilie pour Khadra et Amélie pour Dris. Ils assistent tous deux au départ massif des Français d’Algérie et tous deux vont se recueillir sur la tombe de leur dulcinée à Aix en Provence pour Khadra et à Saint-Raphaël pour Dris. Et les coïncidences sont légion dans les deux textes. Qui s’est “inspiré” de l’autre ? »

Les mots “coïncidence” et “inspiration” qu’emploie Abdallah sont de faibles litotes pour décrire l’ampleur du pillage. Plus que des similitudes, l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit n’a rien fait d’autre que réécrire l’histoire de ces deux amants, en prenant soin d’y injecter sa propre histoire.

Quelques ressemblances qui sautent aux yeux :

– L’époque où commence l’histoire, dans les deux livres, ce sont les années trente.
– Le lieu : l’Algérie.
– Dans les deux livres, il est question de deux Arabes qui tombent amoureux d’une européenne.
– Dans le livre de Youcef Dris, les amoureux s’appellent d’abord Amélie et Dahmane. – Dans celui de Yasmina Khadra, Émilie et Younes.
– Le héros de Youcef Dris débarque à Alger, celui de Yasmina Khadra à Oran.
– Dans les deux livres, les deux Arabes changeront ensuite d’identité, troquant leur prénom arabe contre un prénom chrétien pour l’un, hébraïque pour l’autre. Chez Youcef Dris, Dahmane devient Dédé, chez Yasmina Khadra, Younes devient Jonas.
– Ce n’est pourtant pas les diminutifs qui manquent mais même un “Dédé”, on en retrouvera un également chez Khadra.
– C’est grâce à l’intervention directe de l’Européen que le petit arabe est scolarisé, dans les deux livres
– Dans les deux livres, l’arabe est empêché de vivre son amour avec la jeune Amélie/Émilie.
– Dans les deux livres, leur union est empêchée par la volonté des parents de la fille : le père d’Amélie dans le livre de Dris, la mère d’Émilie dans le livre de Khadra.
– Après cet interdit, dans les deux livres les deux amoureux sont séparés durant de longues années.
– Dans les deux livres, ils assistent au départ des Français d’Algérie.
– Et pendant ce temps, les deux Arabes dans les deux livres sont victimes de racisme.
Outre la séparation forcée par l’autorité d’un tiers, dans les deux livres ils sont rejetés parce qu’Arabes : à l’école, par les copains pour l’un, par les filles pour l’autre.
– L’histoire du bagne, dans les deux livres.
Dans les deux livres, la fin se passe dans le sud de la France : à Aix dans le livre de – Yasmina Khadra, où l’auteur a vécu, à Saint-Raphaël dans le livre de Youcef Dris, qui a respecté la vraie histoire de son cousin.
– Dans les deux livres, Amélie et Émilie accouchent.
– Dans les deux livres, Amélie et Émilie meurent, mais pas l’enfant.
– Dans les deux livres, les deux Arabes retrouvent le fils d’Amélie/Émilie à la fin.
– Dans les deux livres, l’Arabe ne sera pas le père.
– Dans les deux livres, Amélie et Émilie ont écrit une lettre à Dédé et à Jonas.

Et les ressemblances ne s’arrêtent pas qu’au texte. À la fin du récit Les amants de Padovani, il y a quatre photos, des daguerréotypes que Youcef Dris avait retrouvés chez sa mère dans une vieille caisse, dont celle de la femme au chapeau :

Yasmina Khadra est un auteur qui puise sans vergogne dans le fond commun des idées et des faits divers. Il n’y a aucune limite, pour lui, entre l’emprunt servile et l’emprunt créatif. Dans Ce que le jour doit à la nuit, le petit Younes fait comme l’auteur du livre : dès la page 70 il change d’identité et devient Jonas, un Français qui vivra en Algérie parmi les Français, isolé des « siens », très poli, non violent, en plus un vrai beau gosse avec des yeux bleus. Un garçon à croquer. Tout un fantasme qu’on va s’abstenir de rappeler tellement c’est gros. Quant à Émilie, c’est la même : dans le récit de Youcef Dris (2004), elle s’appelle Amélie et, comme l’autre, accouchera, puis mourra en France après avoir écrit une lettre à Jonas.

Yasmina Khadra a été confié à l’armée algérienne par son père à l’âge de neuf ou dix ans, comme le jeune Younes. Comme le jeune Jonas, c’est une nouvelle famille que Yasmina Khadra avait retrouvée au sein de l’armée, une « famille » avec laquelle il vivra plusieurs décennies. Ce n’est pas le plus gênant mais on aurait aimé ne pas y penser, car il est impossible de ne pas faire le parallèle, durant la lecture, entre le personnage du roman principal confié à une famille de pied noir à l’âge de dix ans, avec la vraie vie de l’auteur.

Bernard Barrault, l’éditeur de Yasmina Khadra (Julliard), a-t-il lu Les amants de Padovani ? J’en doute. De même qu’il n’avait jamais lu, du moins avant sa publication, Frenchy, le roman que Yasmina Khadra avait publié aux éditions Fayard en 2004 sous le nom de Benjamin Cros, une charge antiaméricaine ridicule et d’une haine inouïe. Un roman vendu à 460 (quatre cent soixante) exemplaires. Benjamin Cros est moins bon que Yasmina Khadra! Un important éditeur parisien m’avait dit à propos de Yasmina Khadra : « Chez Julliard, ils disent qu’ils ne font que le corriger. Mais on sait qu’on lui réécrit ses livres. » Sur France Culture, en 2007, l’excellent Tewfik Hakem à qui je répondais que je n’avais rien lu de Yasmina Khadra, m’a recommandé dans un éclat de rire de lire au moins un de ces romans.

Photos de Youcef Dris :

Amélie Lemoigne sur le bateau en partance vers Marseille, photographiée par Dahmane

Amélie Lemoigne et Dahmane avec les sœurs d’Amélie à la Pointe Pescade

Amélie Lemoigne, sa cousine et Dahmane à Saint-Raphaël

Rappel :
Parce qu’il ne figurait sur aucune liste de prix, furieux et se croyant peut-être en Algérie, voici ce qu’il déclara au Parisien en 2008 :

« Toutes les institutions littéraires se sont liguées contre moi » L’auteur dénonce ainsi le fait que son best-seller Ce que le jour doit à la nuit soit absent de la liste des prix. « Ça n’a pas de sens, dit-il, ces aberrations parisiennes. Les gens pensent que ça a été facile pour moi de devenir écrivain. J’ai été soldat à l’âge de 9 ans. J’ai évolué dans un pays où l’on parle de livres mais jamais d’écrivains et dans une institution [l’armée] qui est aux antipodes de cette vocation. » Le romancier n’accepte pas ce rejet d’autant plus qu’il est plutôt convaincu de la qualité de son œuvre puisqu’il déclare : « Je ne pense pas pouvoir écrire un livre meilleur que celui-là. » Et il précise aussi ceci : « On devrait me saluer pour ça : j’écris dans une langue qui n’est pas la mienne. »

Si l’occasion se présente, un jour, je ferais une note rien que sur cette dernière déclaration : « J’écris dans une langue qui n’est pas la mienne. »

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