Biographie

Belaïd At Ali le vagabond

Belaïd At Ali entreprend alors la route qui aurait dû le ramener au pays kabyle. Il connaît, de nouveau, la faim, la prison pour vagabondage et ivrognerie ; il couche à la belle étoile, dans les jardins publics, les granges, les garages. Le paludisme, puis une pneumonie préparent le terrain à la tuberculose. Des diverses étapes de cet invraisemblable voyage, il envoie à son ami, Vou-llevsa-tamellalt, des lettres qui sont des cris d’alarme ou de longues confidences.

Expulsé du Maroc, Belaïd At Ali rentre en Algérie par Marnia et Tlemcen : d’Aïn-Elhout, (14 kilomètres de Tlemcen), il écrit :

« Pourquoi et comment j’ai quitté Marnia ? Jeudi dernier, je me réveillai dans la geôle du commissariat de police. J’y avais été conduit, la veille, paraît-il, dans un état… que vous devinez. Le jeune secrétaire du commissariat, (un de ces hommes que je peux appeler « chics types ») me fit venir dans son bureau et me dit : « Mon ami, voici la troisième fois que vous passez la nuit ici pour le même motif. Oui, oui, je sais que vous ne faites de mal à personne et que vous gagnez de quoi… boire en faisant le porteur d’eau ou quelquefois en écrivant des lettres. Nous avons remarqué même que vous sembliez assez instruit. C’est dommage, mais enfin, nous, la police, ne pouvons plus vous permettre de rester plus longtemps ici, à Marnia. Songez que vous n’avez absolument aucune pièce d’identité. Nous savons que vous avez été refoulé du Maroc. Aussi, le mieux que l’on puisse faire pour vous, est de vous refouler nous-mêmes à notre tour. Marnia est une toute petite ville où un étranger comme vous ne peut trouver aucune aide. II me semble, d’ailleurs, que vous devez savoir faire autre chose que le porteur d’eau et… l’ivrogne. Allez donc à Tlemcen, qui est une grande ville : voici une réquisition signée du Maire pour une place en chemin de fer. Vous n’avez pas le sou ?… Hélas, je ne peux rien vous donner non plus, mais voici toujours un paquet de cigarettes que vous fumerez à ma santé, et bonne chance ! »

« Un agent de police m’accompagna jusqu’à la gare pour s’assurer que je montais bien en wagon et, vers 16 h. je débarquais ici, à la gare de Tlemcen, avec mon vieux couffin qui me sert de valise depuis Oudjda. Je suis allé d’abord à une espèce de marché aux puces où j’ai vendu les quatorze cigarettes qui me restaient et j’ai acheté un morceau de pain, dont je commençais à avoir grand besoin. J’ai passé la nuit à la belle… lune et c’est le lendemain que mon patron actuel m’a trouvé mangeant, dans le marché aux légumes, des figues (fraîches !) jetées. J’ai accepté tout de suite la place de gardien qu’il me proposait dans son jardin. Ne sait pas n’importe qui ce que c’est que de se trouver loin de son pays, sans aucune pièce d’identité, sans un sou et nu dans une vieille djellaba comme celle que je porte depuis Oudjda… Ce maraîcher, vous comprenez, a de bonnes raisons pour ne pas exiger de paperasses il paraît qu’aucun de mes prédécesseurs n’a pu rester plus de huit jours dans la place. Je gagne 750 Fr. par mois, 23 Fr. par jour, plus deux petites galettes d’orge et liberté de cuisiner quelques légumes pris sur le jardin… Je supporte ma solitude et ne souffre que du manque de lecture. Mon patron refuse de m’acheter le moindre journal, même si je lui offre de lui en faire la lecture… Contrairement à nos conventions, il me fait travailler à longueur de journée, et péniblement, en dehors de la garde. Il se rend compte de ma gêne, sait que, étranger sans soutien, je suis obligé de tout supporter… »

« … Je vais maintenant me faire griller quelques poivrons avec un oignon et une tomate… Je me passe de vin sans aucune peine… Ce qui me manquerait le plus est une tasse de bon café, et, aussi une lampe et un livre, un bon livre, volumineux, substantiel… »

à suivre.

Précédemment mis en ligne en juillet 2005.

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