Chronique

Comment réveillonner ?

Ce matin la fenêtre entre ouverte laisse pénétrer un air frais dans ma chambre. Le temps est superbe et modérément chaud qu’on se croirait déjà au début de l’été. J’aimerais bien m’aérer l’esprit sur les crêtes des collines environnantes mais aujourd’hui le cœur n’y est pas.

Aujourd’hui je finis l’année les épaules affaissées sous un si lourd poids de tristesse que je ne pourrais pas tracer les contours.

Mon ami, libre à toi de me voir en pisse-vinaigre ou en rabat-joie mais cela ne m’empêchera pas de t’avouer ma peine de t’entendre dire que tu vas réveillonner. Je ne comprends pas comment peux-tu te préparer à festoyer, chanter, danser après tout ce qui s’est déversé comme malheur sur notre pays.

Pour ma part, cette fin d’année 2021 ne peut pas être celle de la joie.

Comment pourrais-je avoir le cœur à la fête quelques mois seulement après ces atroces journées d’août passé.

Toute la Kabylie brûlait comme une torche.

Ne pouvant que répondre fraternellement aux appels à l’aide lancés par les villageois de Boumrawi, de Taddert Tamkrant, sans trop réfléchir, je suis parti leur prêter main forte. Une fois sur les lieux, j’ai réalisé à quel point la situation était dramatique. Des flammes dantesques dévoraient voracement la végétation ; les caroubiers, les oliviers centenaires brûlaient comme des fétus de pailles. C’était effrayant on aurait dit que de monstrueux dragons étaient sortis des fondrières pour souffler un déluge de feu sur les montagnes qui surplombent la basse Soummam.

Mon choc fut à son paroxysme quand j’ai appris que quatre membres de la même famille ont péri dans les feux.

Après avoir imbibé d’eau mon masque pour me protéger de la fumée, j’ai rejoint un groupe de jeunes issus des villages d’Amizour. Torses nus pour certains, sans masque pour d’autres, nous nous sommes vite engagés dans une rude bataille, au corps à corps, avec les incendies. Pendant que nous tentions de freiner la progression des flammes au moyen de branchages de caroubiers et d’oliviers des camions et des camionnettes transportaient de l’eau dans des citernes.

Malgré tous les efforts de ces valeureux pompiers, qui, malgré le peu de moyen à leur disposition, donnaient le meilleur d’eux-mêmes pour éteindre les feux et sauver de nombreuses vies, l’incendie progressait dangereusement vers les habitations.

Les villageois étaient effarés, tétanisés mais dignes devant l’Apocalypse qui leur tombait sur la tête. Il n’était pas question pour eux d’abandonner leurs villages aux flammes.

Essoufflé par la fatigue, écrasé par la chaleur oppressante, je l’avoue, j’ai failli à plusieurs reprises baisser les bras devant les feux mais une petite voix intérieure me disait de dépasser mon désespoir et de transformer mes peurs en courage. Je commençais donc à paniquer quand j’ai entendu des vrombissements dans le ciel chargé de fumée. En levant ma tête, j’ai vu, à ma grande satisfaction, deux canadairs tournoyer au-dessus du brasier.

Autour de moi les jeunes criaient : « les canadairs, les canadairs, les canadairs » en faisant de grands gestes des bras. L’un après l’autre les pilotes ont lâché leur charge d’eau. Aussitôt après il s’est formé un gigantesque arc en ciel…

En fin de journée, exténué, j’ai quitté les lieux. Pendant le trajet du retour, dans la benne du camion qui me transportait vers Amizour, les sanglots me serraient la gorge. C’était pour moi une terrible douleur de l’âme de voir tant d’efforts, de travail brûler et réduit en cendre Jamais je n’ai vu un désastre, une catastrophe écologique d’une aussi grande ampleur. Partout je ne voyais que désolation. Ces champs d’oliviers et de figuiers, ces belles forêts de sapins étaient devenus des arbres calcinés. D’une nature verte de vie nous étions passé à un univers gris.

Hakim Adjissa, 31/12/2021

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