Politique

Généralisation de la langue arabe

La période du Haut Comité d’État et du président Zéroual

Suite à la démission du président Chadli, un Haut Comité d’État (HCE) de cinq membres est constitué. Pour le présider, on fait appel à Mohamed Boudiaf, l’un des membres fondateurs du FLN et ancien opposant au régime en place. Dans le domaine des langues, il fait preuve d’une grande liberté, n’hésitant pas à s’exprimer en français ou en arabe algérien. Sur l’avis du Conseil consultatif national (assemblée nationale désignée), il demande le report de l’application de la loi sur la généralisation de la langue arabe : le décret sera promulgué le 7 juillet, après son assassinat le 29 juin. Il est remplacé à la tête du HCE par Ali Kafi.

Malgré la présence d’Ahmed Djebbar, un fidèle de Boudiaf, à la tête de l’Éducation nationale, l’arabisation se poursuit. Le 15 avril 1993, le secrétaire d’État, Tahar Zerhouni, annonce qu’à la prochaine rentrée, les enfants pourront choisir l’anglais au lieu du français à l’entrée en 4e année fondamentale. Cette décision, qui ne repose sur aucune préparation pédagogique, est surtout un moyen utilisé par les arabisants pour écarter le français, et elle n’aura qu’une application très limitée.

Le 30 janvier 1994, Liamine Zeroual est désigné comme chef de l’État par le Haut Conseil de sécurité. Faute de pouvoir se faire entendre, le Mouvement culturel berbère déclenche à partir du 28 août une grève scolaire dite « grève des cartables » en Kabylie, « jusqu’à l’introduction de la langue amazigh dans l’enseignement ». Cette grève se poursuit jusqu’en mai 1995 : à ce moment, à la suite de négociations, le président Zeroual annonce la création d’un Haut-commissariat à l’amazighité. Le 16 novembre, Liamine Zeroual est élu au terme d’une élection présidentielle pluraliste.

Le 17 décembre 1996, le Conseil national de transition vote à l’unanimité une loi généralisant l’usage de la langue arabe à partir du 5 juillet 1998 (et du 5 juillet 2000 pour l’enseignement supérieur) sous peine d’amendes. Cette loi reprend celle de 1991 qui avait été suspendue en 1992. Son rétablissement est interprété comme une tentative du pouvoir de se rallier les partis islamistes modérés[1], et elle est source de controverses. Le CNT est dissous en mai 1997, et remplacé par une assemblée législative élue en juin, mais celle-ci se trouve divisée sur la question des langues. Le président Abdelkader Bensalah rabroue un député qui s’exprime en français en assemblée plénière[2]. Le 9 décembre, l’Association pour la défense de la langue arabe adresse une lettre ouverte au président Zeroual pour réclamer l’application de la loi sur la généralisation de l’utilisation de la langue arabe.

A l’approche du 5 juillet 1998, date de la mise en application de cette loi, les manifestations se multiplient en Kabylie. Le 8 juin, le Congrès mondial amazigh en réclame l’abrogation ; le 16, une étude du Conseil supérieur de l’éducation révèle que 70 % des parents d’élèves souhaitent que leurs enfants apprennent le français. Le 25 juin, le chanteur kabyle Lounès Matoub est assassiné. Sa mort donne le signal de graves émeutes en Kabylie, pour la reconnaissance du tamazight et contre la loi d’arabisation. Le 7 juillet, le président Zeroual rejette la reconnaissance du berbère. Les circonstances de l’assassinat du chanteur suscitent des controverses et entretiennent le soupçon d’une manipulation. Le 11 septembre, Liamine Zeroual annonce à la télévision sa démission de la présidence et la tenue d’une élection présidentielle anticipée.

À suivre
Grandguillaume Gilbert, enseignant honoraire à l’EHESS. Ancien responsable de la coopération culturelle à l’ambassade de France à Alger.

Note :

[1] Cf. G. Grandguillaume, « Arabisation et démagogie en Algérie », Le Monde diplomatique, n° 515, février 1997[2] Cf. El Watan du 1er juillet 1997.

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