Tribune libre

Il faut sauver la Kabylie

Le 20 Juillet dernier, Bouteflika signait un décret prononçant la dissolution de soixante-dix APC de Kabylie. Cette décision intervient en application de la sixième incidence relative à la révocation des « indus élus » prévue par l’accord de Janvier 2004 conclu dans le cadre du dialogue entre le représentant de l’Etat, Ouyahia, et les délégués du Mouvement citoyen.

Cette mesure, considérée comme une avancée par les délégués, est contestée. Surtout par la direction du FFS et ses élus qui représentent plus du tiers des municipalités concernées. En octobre 2002, ils avaient participé au scrutin local en dépit du rejet massif de la consultation par la population de la région.
Pour le gouvernement, la mesure « s’inscrit dans le processus de règlement de la crise Kabyle ». Et il annonce, dans la foulée, la tenue avant la fin de l’année, d’élections locales anticipées.

Les autorités envisagent donc de répéter la confrontation électorale dans la région, bien qu’aucun des changements politiques fondamentaux réclamés depuis quatre années par les populations ne soit intervenu pour justifier leur adhésion à ce nouveau scrutin.
Au contraire et délibérément, rien n’est entrepris pour arrêter les conséquences désastreuses de la crise sur la situation sociale, économique et sécuritaire des populations de Kabylie.
S’agit-il alors de mettre à profit l’indifférence ou a lassitude actuelle de ces populations ou encore d’exploiter les divergences au sein du mouvement citoyen et entre les partis de la région pour favoriser la reprise en main politique et administrative des localités par les appareils locaux du Pouvoir ?
Au vu de la situation, on peut légitimement s’interroger sur les intentions réelles des autorités et les objectifs poursuivis.
Quel est le contexte général dans lequel cette décision survient ?

La situation économique

La forte dépendance de l’économie algérienne aux fluctuations des cours du pétrole sur le marché mondial se traduit dans la conjoncture actuelle d’augmentation des prix par un accroissement considérable des revenus financiers du pays.
Cette manne financière ne profite cependant pas à l’activité économique à l’exception du secteur des hydrocarbures et des activités connexes auxquels est consacré l’essentiel de l’investissement public.
On assiste en fait à une régression continue des principales activités de production nationale, à la liquidation des entreprises du secteur public et au licenciement de leur personnel et à la ruine des milliers de petites entreprises industrielles, artisanales et agricoles qui ne sont plus en mesure de répondre aux besoins des populations.
En même temps et sous couvert d’ouverture du pays à l’économie de marché, des pans entiers de l’activité économique sont privatisés et transférés avec le soutien de l’administration et la mobilisation des fonds publics (sous forme d’aides bancaires, de prêts, de facilités etc…) à des entreprises privées contrôlées directement par la nomenklatura du régime convertie dans les affaires ou par l’intermédiaire de ses clientèles.
Les principaux secteurs stratégiques (médicaments, agroalimentaire, matériaux de construction, télécommunications, internet etc.) sont ainsi passés du contrôle de l’État à la main mise de monopoles privés.
De même, la libéralisation du commerce extérieur a eu pour effet le gonflement anarchique des activités de commerce d’importation et l’étouffement par la concurrence introduite des possibilités de développement de la production locale.

D’une façon générale, la gestion publique des revenus financiers extérieurs conduit surtout, dans le climat d’instabilité qui prévaut dans le pays, a favoriser le développement d’une économie informelle et de non droit tournée vers l’affairisme, le détournement et la prévarication du patrimoine public, les pratiques mafieuses à grande échelle, les trafics en tous genres et la corruption.
N’assiste-t-on pas régulièrement à des scandales publics retentissants (affaires Khalifa, Orascom etc.)
Les principaux indicateurs officiels sont d’ailleurs révélateurs de cette orientation vers une gestion privative de l’économie algérienne et de l’incapacité de celle-ci à répondre aux besoins fondamentaux de la population.
La question essentielle de l’emploi est carrément laissée pour compte dans les calculs officiels. Le chômage qui touche aujourd’hui plus de 50 % des jeunes de 20 ans est aggravé chaque jour par :
– des licenciements massifs (400.000 travailleurs) provoqués par la restructuration du secteur public,

– l’affaiblissement des secteurs productifs (industrie, BTP et agriculture) en principe pourvoyeurs d’emplois et qui, aujourd’hui, occupent ensemble moins de salariés que les activités de commerce où dominent les métiers cache misère,

– la précarisation de l’emploi salarié existant avec seulement un tiers d’emplois permanents parmi les personnes occupées.

À cela il faut ajouter la précarité des revenus et l’absence de protection sociale et de retraite liées à la généralisation du travail au noir

La conséquence la plus visible de cette situation est certainement la distorsion criante entre l’enrichissement ostensible d’une minorité liée au pouvoir qui gère le pays à son profit et l’appauvrissement grandissant de couches de plus en plus larges de la société en proie à la dégradation générale de leur condition d’existence.
Avec le temps la rupture s’est opérée entre le pouvoir algérien et les classes populaires qui n’en attendent plus rien.

La situation politique

La dernière élection présidentielle a, sans surprise, reconduit Bouteflika.
Elle a permis, à travers les affrontements et les règlements de comptes rocambolesques auxquels elle a publiquement donné lieu, une recomposition des alliances au sommet de l’État.
L’objectif est de préserver un équilibre de rapports de forces entre les clans qui contrôlent le pouvoir pour assurer la sauvegarde du régime, garant de leurs intérêts et privilèges et de ceux de leurs clientèles.
Pour cela les autorités poursuivent la gestion imposée depuis quinze ans à la société et qui, à la faveur du climat de terreur alimenté par l’islamisme, a bloqué toute vie politique dans le pays laissant libre cours à l’affairisme et à la corruption.
Tous les moyens sont mis en œuvre dans le cadre du régime d’exception toujours en vigueur, pour briser les formes luttes que développent de plus en plus les populations face aux conséquences économiques et sociales de la politique du régime.

Sous la conduite de Bouteflika, le pouvoir s’emploie à restaurer méthodiquement l’arsenal répressif des années de plomb pour restreindre drastiquement les libertés citoyennes chèrement conquises (par la révolte de 1988 notamment), monopoliser les espaces d’expression publics pour empêcher le débat démocratique, réprimer les incessantes émeutes de la jeunesse révoltée.
Il s’agit en un mot d’endiguer les aspirations au mieux vivre et à la démocratie qui émanent des profondeurs de la société.

Des mesures sont prises chaque jour en ce sens : atteintes aux libertés fondamentales, loi répressive sur la presse, interdiction et répression de manifestations, emprisonnement de militants citoyens, de défenseurs des droits de l’homme, de syndicalistes, de journalistes etc..).
À cela s’ajoute l’encouragement apporté à l’implantation dans tous les recoins du pays d’associations religieuses subventionnées afin de conforter au sein de la jeunesse l’influence idéologique de la mouvance islamiste.
Des mesures insidieuses et intéressées (à des fins électorales notamment) sont prises dans ce sens avec deux objectifs inavoués.
D’une part, préparer la possibilité d’associer l’islamisme politique à la gestion de la société dans le cadre d’une division des tâches qui pourrait abandonner l’encadrement politique et idéologique des populations aux tenants de l’ordre moral et religieux. En contrepartie de quoi la gestion des affaires et de la sécurité reviendrait toujours à la nomenklatura en place.
D’autre part saper en profondeur toute possibilité de construire un jour dans ce pays une société démocratique de citoyens libres et autonomes chez qui la conviction spirituelle individuelle ne fait pas obstacle à la pensée rationnelle qui doit guider et éclairer le débat public.
Cette perspective dangereuse de réhabilitation de l’islamisme politique se concrétise dans la politique de concorde civile et d’amnistie conduites tambour battant par Bouteflika. Le référendum du 29 septembre n’en est qu’une étape.

Le contexte politique actuel prête donc peu à l’optimisme. Il suscite au contraire le désarroi au sein des couches populaires et particulièrement de la jeunesse acculée au désespoir et obligée, pour se faire entendre, de recourir à l’émeute.
Pas un jour ne passe sans qu’éclatent quelque part dans le pays des révoltes prenant pour cible les institutions étatiques. Corrompues et discréditées celles-ci sont détournées de leurs attributions et mises au service des intérêts privés des mafias locales au détriment des populations qu’elles sont censées servir.
La situation est aggravée par l’impunité dont bénéficie le régime à la faveur de disponibilités financières considérables et de l’attitude des instances internationales moins regardantes face à l’oppression et aux atteintes aux libertés dans le contexte de l’après 11 septembre, de la montée du terrorisme et de l’extension de la guerre en Irak.

La révolte du Printemps noir de Kabylie.

Pour bien comprendre l’évolution qui a conduit à la situation actuelle en Kabylie, il semble utile de resituer le contexte de la révolte aux conséquences tragiques qui a embrasé la région au cours du printemps 2001.
Cette révolte des populations de Kabylie contre le pouvoir est certainement, depuis l’indépendance, la seule véritable remise en cause radicale du système politique algérien.
C’est une réaction désespérée de la jeunesse kabyle pour en finir avec la politique, les pratiques et les hommes qui constituent les fondements du régime.
Par son ampleur, son organisation et son contenu politique le mouvement citoyen, né de cette révolte, a marqué un tournant dans l’histoire de la région et plus largement dans celle du pays.
C’est un mouvement populaire qui puise ses forces vives dans la jeunesse kabyle dont il exprime les aspirations. Parce qu’il cristallise es espoirs de changement, il recueille le soutien de l’ensemble des couches sociales.
C’est un mouvement autonome né dans l’urgence de l’auto-organisation des populations face à la répression. Il s’appuie sur une nouvelle génération de militants issus des comités de villages et de quartiers et situe son action en dehors des instances officielles ou partisanes.
C’est un mouvement pacifique qui repose sur une mobilisation citoyenne. Il prône le dialogue et la concertation et se démarque des positions et des actions extrêmes. Il exclut la provocation dans ses moyens d’action et s’attache constamment à éviter la violence et les débordements.
C’est un mouvement démocratique et rassembleur. Son mode d’organisation est fondé sur les comités de villages représentatifs des populations (l’Aarach). Son mode de fonctionnement est basé sur la concertation (horizontalité, code d’honneur).
Respectueux du pluralisme politique, il œuvre au rassemblement des forces autour de ses revendications démocratiques de justice sociale, de liberté et de défense de l’identité Amazigh.
Il témoigne d’une irruption de la société civile en tant que force consciente et organisée sur la scène politique.
C’est un mouvement revendicatif porteur d’un projet de société.
Rompant avec la terreur et la confusion entretenues dix années durant par le terrorisme et l’autoritarisme étatique, il met en lumière les vrais contradictions et le véritable enjeux de la société : la démocratie.
Dans l’affrontement direct avec le pouvoir, il en révèle le caractère répressif et antidémocratique et désigne du même coup l’objectif (la fin du régime) et la cible (le pouvoir et ses alliés) du combat citoyen en Kabylie et plus largement dans tout le pays.
Comme force de proposition, il exprime les revendications des manifestants formulées dans un document de référence : la Plateforme de Leqser.

La Plateforme de Leqser

Adoptée un mois et demi après le début de la révolte, puis explicitée lors d’un conclave à Larbba nat Iraten, la Plateforme de Leqser pose comme objectif la satisfaction des revendications exprimées par les populations de Kabylie.
Ces revendications expriment d’une part les préoccupations concrètes et immédiates de la jeunesse révoltée contre le déni identitaire, l’injustice, le mépris (la hogra) et l’impunité des dirigeants.
Elles expriment d’autre part les aspirations légitimes des populations à une vie normale, fondée sur le respect des valeurs démocratiques, la prospérité économique et la justice sociale.
En formulant clairement et sans détour de vraies réponses aux problèmes de la société, la plateforme définit les conditions minimales incontournables à toute possibilité de redresser la situation dans la région et de promouvoir un changement radical en faveur de la jeunesse et des couches populaires.

La répression et les manœuvres du pouvoir. L’hostilité des appareils politiques

L’extrême violence déployée par le pouvoir contre le mouvement de protestation kabyle est significative de la panique qu’il a provoquée dans ses rangs.
La réaction immédiate, suscitée par la haine du peuple qui anime les sphères dirigeantes, est d’étouffer la révolte dans le sang. Des tirs d’armes à feu et à balles réelles ont, au total, coûté la vie à 128 manifestants pacifiques et blessé ou mutilé plus de 3500 d’entre eux.
Cette stratégie de guerre n’a pas eu raison des insurgés et de la détermination de leur mouvement à faire aboutir ses revendications. Pendant trois années qu’ont duré les affrontements la mobilisation citoyenne n’a pas fléchi bien qu’en plus des crimes perpétrés, tout ait été mis en œuvre pour affaiblir le mouvement par l’arrestation massive de ses délégués, pour semer la division dans ses rangs par les manœuvres de noyautage et l’intox ou pour cultiver le pourrissement de la situation dans la région.
Dans cette entreprise le pouvoir a trouvé des alliés objectifs dans les appareils politiques kabyles hostiles au mouvement citoyen.

Deux raisons au moins expliquent cette connivence.

La première tient certainement à ce que la révolte populaire a révélé la nature véritable de ces appareils en tant que satellites du pouvoir, uniquement préoccupés par leurs intérêts électoraux en rupture totale avec les populations dont ils n’ont ni soutenu la révolte ni cherché à exprimer les revendications.
Ils ont été la cible de dénonciation et leurs locaux d’agressions tant pour leur rôle néfaste dans la région, où ils ont stérilisé toute vie politique des années durant, que pour leurs positions hostiles à celles du mouvement citoyen à l’occasion notamment des élections municipales d’octobre 2002 dans le cas du FFS ou de la présidentielle de 2004 dans celui du RCD.

La deuxième raison tient au fait que le mouvement citoyen a spontanément occupé l’espace politique régional dont ces partis se réclament. Il a de plus attiré dans ses rangs bon nombre de leurs adhérents pour qui il a constitué le cadre approprié à l’expression de leur engagement militant.

Le dialogue Pouvoir- Aarchs.

En fin d’année 2003, la confrontation opposant le pouvoir à la Kabylie est sans issue. Le contrôle de la situation échappe globalement aux autorités tandis que les populations de la région, rudement éprouvées par trois années de répression, fondent tous leurs espoirs dans un seul objectif, la satisfaction des exigences de la plateforme de Leqser posée comme la revendication fondamentale du mouvement.
C’est dans ce contexte que le pouvoir décide d’appeler au dialogue les représentants du mouvement citoyens désignés par l’Inter-wilayas.
La première rencontre a lieu en janvier 2004. Elle achoppe sur la question de l’officialisation de Tamazight que le pouvoir veut soumettre à référendum.
Le dialogue reprend en janvier 2005 et se poursuit depuis.
La stratégie du pouvoir pour « mettre fin à la crise en Kabylie » consiste désormais à chercher à gagner du temps. Pour cela, il joue sur deux tableaux.

Le premier consiste à ne rien entreprendre spontanément pour remédier à la situation catastrophique de la région largement éprouvée par les effets de la révolte. Qu’il s’agisse de la régression de l’activité économique aggravée par la fuite de l’investissement et le marché noir, de l’accroissement du chômage des jeunes et de l’extension de la misère ou du climat d’insécurité entretenu dans les localités.
Par un laxisme délibéré, les autorités entretiennent au contraire une situation d’anarchie qui favorise la prolifération de mafias locales et avec elles, le développement du banditisme, de la délinquance et de la prostitution.
Cette situation inquiète fortement les populations d’autant qu’elle est mise à profit par les tenants de l’intégrisme religieux pour insidieusement imposer sous couvert de « moralisation » leurs normes dans les localités de la région
Finalement, le but du pouvoir est de laisser tranquillement dépérir la Kabylie pour briser les ressorts de la contestation et du même coup faire payer aux populations le prix de leur révolte.
Le second tableau de sa stratégie est de conduire le dialogue exigé par le mouvement citoyen en vue de l’application des exigences de la Plateforme de Leqser.
Cette question a dès le départ partagé le mouvement entre les dialoguistes légitimistes désignés par l’Inter-wilayas et les anti-dialoguistes qui constituent une mosaïque de groupes hétérogènes.
Au-delà des « délégués partisans » mandatés pour faire obstruction à toute négociation qui ne servent leurs intérêts d’appareils ou des agents du pouvoir mandatés, eux, pour entretenir la division dans les rangs du mouvement, il est une partie des délégués qui s’interrogent légitimement sur la nature du dialogue en cours, sur la façon dont il est conduit et les résultats qu’il y lieu d’en attendre.
Depuis qu’il a été relancé, le dialogue s’est installé dans la durée, ponctué de comptes rendus périodiques des délégués pour informer du déroulement des discussions et des résultats acquis.
Peu à peu, ces compte rendus laissent perplexes les plus convaincus qui se demandent de plus en plus si, en accédant à certaines revendications, certes importantes pour le mouvement mais sans grandes implications politiques sur le régime, le pouvoir ne cherche pas, avant tout, à traîner en longueur pour gagner du temps.
Du temps, pour user la patience des populations dans l’attente et jouer sur la lassitude pour cultiver l’indifférence ou même susciter la méfiance à l’égard des délégués, du temps pour diviser ces derniers, les isoler et neutraliser ainsi le mouvement, du temps pour dénaturer le contenu de la plateforme de Leqser et vider celle-ci de sa force politique et symbolique.
De toute évidence, le dialogue avec le pouvoir n’a de sens qu’en dehors de tels calculs. Il appartient au mouvement citoyen d’imposer le cadre et les modalités appropriés. Cela nécessite un débat permanent et constructif entre tous les délégués pour ressouder les rangs et avec les populations pour conforter l’ancrage populaire du mouvement.
Ce débat à la base doit promouvoir l’information, la réflexion et la concertation autour du contenu et de la conduite du dialogue afin de rassembler sur des positions communes toutes les forces attachées à la satisfaction des revendications de la Plateforme de Leqser.
Ce débat est incontournable en dépit de la situation entretenue pour faire obstacle à la mobilisation citoyenne et au travail politique en profondeur dans les localités.

Les élections locales anticipées.

Il ne fait pas de doute que la décision d’organiser ces élections procède d’une volonté de reprise en main politique et administrative des localités de Kabylie avec cette fois l’assentiment des populations qui n’ont apparemment d’autre choix que de cautionner ou tout au moins de laisser se dérouler le scrutin.
L’afflux des prétendants de tous horizons à cette élection, même pour une période provisoire, est significatif des appétits féroces que suscitent les instances locales. Il est vrai que leur rôle a toujours consisté à entretenir des clientèles privées ou partisanes, chargées de l’encadrement administratif des populations, en contrepartie des privilèges que confère l’exercice du pouvoir local et la consommation quasi privative des budgets communaux.

Avec cette élection, la Kabylie est à nouveau à la croisée des chemins. N’est ce pas un paradoxe que le moyen possible de sa reprise en main par le pouvoir soit le résultat de ses exigences dans le cadre d’une révolte émancipatrice.
À moins qu’une autre perspective soit donnée à la révocation des indus élus et qui servirait celle-là, les intérêts de la région.

Le but serait de sauver la Kabylie.

Dans cette optique, l’organisation d’élections partielles peut constituer une opportunité pour capitaliser la mobilisation citoyenne dans la région et instaurer le contrôle de la population sur la gestion des municipalités
Il s’agit d’investir les APC et les APW concernées par des candidats dûment désignés par les villageois eux-mêmes pour en quelque sorte prendre le pouvoir localement et mettre ces institutions au service de l’intérêt général des populations.
En barrant la route aux opportunistes de tout poil, il sera alors possible d’organiser la résistance au processus de déliquescence dans lequel est engagée la Kabylie.

Au nombre des tâches urgentes il convient en particulier de :

– réaliser rapidement l’audit des besoins socioéconomiques essentiels des communes, élaborer des projets de développement local et agir énergiquement pour leur prise en charge financière et en moyens de réalisation par les institutions publiques responsables.

– encourager l’auto-organisation des citoyens par la mobilisation des énergies et des moyens localement disponibles autour de micro-projets d’intérêt privé ou collectif susceptibles d’apporter des réponses même partielles aux lancinants problèmes sociaux de nos villes et villages (chômage)

– atténuer la misère sociale en se faisant le relais et l’interprète des plus démunis auprès des institutions publiques pour les amener à assumer leurs responsabilités,

– assurer la défense du bien public et en particulier faire obstacle à l’entreprise de dilapidation et de privatisation du patrimoine foncier et immobilier communal en faveur des mafias locales et des clientèles du régime,

– combattre les nuisances (banditisme, délinquance) et les maux sociaux (alcool, drogue, prostitution) avec leur pendant, l’intégrisme religieux, qui prolifèrent en Kabylie à l’ombre du laxisme des autorités.

– œuvrer à ressusciter les valeurs de l’éthique villageoise et la citoyenneté basée sur le respect des règles démocratiques et l’épanouissement socioéconomique et culturel de la société.

La conquête des institutions locales s’inscrirait dans le prolongement du mouvement d’émancipation engagé depuis 2001 par les villageois kabyles Elle peut constituer une contribution concrète et sur le terrain à la mise en œuvre de la Plateforme de Leqser.

Pour atteindre cet objectif il est indispensable que le mouvement citoyen engage un travail urgent de mobilisation politique à plusieurs niveaux.
Il y a d’abord lieu de réunifier les rangs du mouvement par un dialogue interne qui permette de rassembler, par-delà les divergences, l’ensemble de ses forces autour de cet objectif.

Il convient dans le même temps d’engager le dialogue avec les populations dans les localités pour débattre des enjeux de ce scrutin et de la nécessité pour elles de désigner parmi les citoyens des communes les candidats de confiance qu’elles éliront pour gérer les assemblées locales.
Le débat doit permettre d’élaborer les critères de désignation des candidats citoyens et les modalités d’exercice du contrôle populaire sur leur gestion.
Un code d’honneur de l’élu local pourra, par exemple, être élaboré et proposé par le mouvement citoyen en complément des lois et du code communal officiels

Chaque candidat devra s’engager préalablement devant la communauté villageoise à respecter durant son mandat ce code de conduite (ou code d’honneur de l’élu local) lui imposant de servir loyalement les intérêts de la collectivité des administrés faute de quoi il devra démissionner.
Les candidats ainsi désignés pourront officiellement constituer des listes d’indépendants.

En dépit de la démobilisation ambiante, il paraît possible, si les efforts militants indispensables sont consentis, de mettre en œuvre cette démarche dont l’aboutissement serait, par son caractère exemplaire, d’une grande importance politique pour le mouvement citoyen et pour la Kabylie.

Paris le 10 septembre 2005
Association des Blessés de Kabylie (Paris)

Merci de respecter notre travail.