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Du panberbérisme au dilemme kabyle

La question berbère est-elle une formulation détournée de la problématique kabyle ? Dans un ouvrage paru en 2004, Maxime Aït Kaki avait donné une lecture critique du panberbérisme. Le 12 novembre dernier, l’association Tamazgha a invité l’universitaire à une conférence suivie d’un débat.

Selon Maxime Aït Kaki, la problématique berbère en Afrique du Nord est une sorte d’objet non identifié. La montée en puissance de l’islamisme a presque fait oublier aux observateurs qu’un autre phénomène est à l’œuvre : la revendication culturelle et linguistique des berbérophones. Cette population de 20 millions de personnes, principalement des Marocains et des Algériens, aspire à sortir de la marginalité.

Un contexte favorable

La réflexion sur les problématiques nationalitaires n’a pas le vent en poupe. Reléguée au second plan après la Seconde guerre mondiale et pendant la guerre froide, elle a refait surface après la chute du mur de Berlin en 1989. Mais, en Occident, les revendications identitaires sont regardées avec suspicion et sont souvent perçues comme porteuses de guerre et de rejet de l’autre. Les atrocités des deux guerres mondiales ont jeté un voile trouble sur le nationalisme au sens large.
Le discours alarmiste sur les identités oublie le rôle libérateur joué par les mouvements nationalistes, au XIXe siècle en Europe centrale ou au cours de la décolonisation, par exemple. « Le nationalisme reste un élément libérateur à condition qu’il ne dégénère pas en un mouvement violent » estime Maxime Aït Kaki, qui cite l’exemple de Gandhi, nationaliste indien et pacificiste.

Par-delà le berbérisme

Dans La Question berbère ou le dilemme kabyle, Maxime Aït Kaki déconstruit le panberbérisme (qui fait référence à une entité berbère allant du Maroc au désert égyptien et de la Méditerranée au Sahel). Le livre, élaboré à partir d’une thèse soutenue en 2002 à la Sorbonne renouvelle l’approche de la question identitaire amazighe. Pour l’auteur, ce discours, développé à partir des années 1960, en particulier par l’Académie berbère de Mohand Bessaoud, présente quelques symptômes comparables à ceux du panarabisme : la tentation de gommer les différences sociales, linguistiques et culturelles entre des populations différentes.

« Il [le berbérisme] est un discours essentialiste romantique, similaire au nationalisme pan-germanique du XIXe siècle, et il devient vite normatif. La réalité est autre, multiple, complexe. Le berbérisme envisage une grande oumma berbère, un peu sur le modèle de la oumma arabe. »

Du reste, depuis la fin des années 1980, les États marocain et algérien ont largement récupéré à leur compte les revendications berbères « pour les noyer dans la masse », en reprenant les arguments du berbérisme, notamment le fameux « Nous sommes tous des berbères ». Si les États maghrébins reconnaissent que tous les Nord-africains sont des Berbères, il ne reste plus rien à revendiquer, dans l’optique berbériste. C’est une manière pour ces États de couper l’herbe sous le pied de la revendication identitaire. Dernier en date, le numéro un libyen, Mouamar Kadhafi vient de recevoir une délégation du Congrès mondial amazigh (CMA). L’homme fort de Tripoli, a officiellement quitté la Ligue arabe, mais le vrai nom de son pays reste « Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ». Tout est dit.

Les réactions du public ne tardent pas à venir :

« Il est vrai que les Kabyles ont fait un long détour avant de commencer à prendre conscience de leur spécificité. Cependant, le berbérisme n’était-il pas un passage obligé ? Grâce aux berbéristes nous savons que nous appartenons à un ensemble beaucoup plus large. De plus ne peut-on pas envisager une identité à plusieurs niveaux : kabyle, amazigh… jusqu’à citoyen du monde ? » demande l’anthropologue Nedjima Plantade. « Sans l’Académie berbère, on ne connaîtrait pas le terme amazigh, ce sont eux qui ont forgé cette identité »

explique Maxime Aït Kaki. Le travail de ces intellectuels : Mouloud Mammeri, Mohand Arav Bessaoud, Taos Amrouche… a permis de mobiliser l’opinion. Reste que le message de déconstruction de cette idéologie est encore difficile à entendre, notamment pour la génération impliquée dans la guerre d’indépendance et qui aura à « se déjuger », se remettre en cause, selon les mots du conférencier. L’universitaire et traducteur Yalla Seddiki, affirme que les mythes fondateurs redécouverts par les berbéristes (Massinissa, Jugurtha, Koceila…) ont été d’une grande utilité dans la formation d’une conscience identitaire en Kabylie et chez les autres Imazighen. Maxime Ait Kaki rétorque que les Kabyles adhéreraient peut-être davantage à des mythes fondateurs proprement kabyles (il cite Llalla Fadma N Summer) qu’à ceux de l’antiquité numide.

La stratégie d’évitement

Car cette problématique qui est devenue nord-africaine cache en fait une question liée à la Kabylie. La plus importante région berbérophone d’Algérie s’est retrouvée hors-jeu à l’indépendance du pays. Disqualifiés après la révolte du FFS de 1963, les Kabyles se retrouvent suspects, isolés politiquement. D’un côté, la majorité a choisi de se couler dans le moule : adopter des valeurs arabo-islamistes, de l’autre un courant qui tente de se trouver des alliés berbères dans les autres régions et dans les pays voisins.

Quel avenir pour la Kabylie ? Laisser cette entité culturelle se diluer et la langue se créoliser en intégrant de plus en plus de mots arabes ? La tendance actuelle est à une accélération de l’arabisation et à la démobilisation. « On est dans une stratégie d’évitement du fait sociologique kabyle » explique Maxime Aït Kaki. Interrogé au sujet du concept d’autonomie de la Kabylie, le conférencier exprime ses doutes :

« L’autonomie est un concept mou, au contenu flou, en perpétuelle renégociation. Dans chaque pays où il est appliqué le concept d’autonomie recouvre des choses différentes. De plus, il me semble étrange de demander une autonomie pour la Kabylie qui ne ferait d’elle qu’un sous-ensemble de l’Algérie qui resterait un pays arabo-musulman — une revendication autonomiste est vouée à l’échec si elle ne participe pas d’une aspiration réelle à la souveraineté — mais quoiqu’il en soit, en l’état actuel de démobilisation générale de l’opinion kabyle, je ne vois pas comment aucun de ces concepts souverainistes pourrait aboutir. »

Et d’ajouter : « Tant qu’il n’y a pas d’adhésion volontaire à ce principe, on débouchera toujours sur cette impossibilité à exister… C’est un travail de remobilisation permanente ».

Certains vont avoir du pain sur la planche.

Maxime Aït Kaki : La question berbère ou le dilemme kabyle à l’aube du XXIe siècle, Éditions L’harmattan, 2004

Rezki Mammar, 22 11 2005

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