Chronique

Ferhat Mehenni ressentis envers Lounès Matoub

Lors de l’émission diffusée en direct sur la web radio Idurar, le samedi 6 novembre 2010, Arekzi Bousaid, ministre de l’autoproclamé GPK, s’est retrouvé devant une impasse. Une auditrice a rebondi sur la question des médias français. Elle a demandé si le manque de visibilité de la cause kabyle, ne serait pas dû à la solvabilité douteuse de Ferhat Mehenni. Ce dernier a utilisé la presse française, pour diffamer et colporter de fausses informations, dans le but de nuire sciemment, au très regretté Lounes Matoub. Arezki Boussaid a émis un doute face à la véracité de cet argument. Nous proposons de rafraîchir la mémoire à l’ensemble du GPK, qui a quelques défaillances mnémotechniques concernant leur président, ses procès ainsi que leur propre genèse.

Comment s’arranger avec l’histoire, et avec le temps qui passe ? L’oubli, l’érosion des mémoires, l’exil des uns, la vieillesse des autres, font que les événements d’il y a plusieurs années ont été réécrits pour glorifier l’apanage d’un nouveau Timonier (il ne s’agit aucunement de Mao Tse Toung, car nous parlons de la Kabylie).

Matoub Lounès a été assassiné il y a 12 ans, jour pour jour. Paix à son âme. Plusieurs manifestations, encore ce week-end, ont permis de rendre un hommage digne de ce nom, à ce personnage hors normes et fédérateur.
Toutefois, revenons, sur un des points cruciaux de son parcours d’homme engagé : son enlèvement de 1994.

À l’époque le MCB (mouvement culturel berbère) qui était présidé par Ferhat Mehenni, parti très proche du RCD de Saïd Sadi, lance le boycottage scolaire (pour l’introduction de l’enseignement de “tamazight”). La situation est alors explosive en Kabylie.

Le 25 septembre 1994, Matoub Lounès fut enlevé par un groupe d’islamistes, dans un café situé dans la vallée de Takhoukht.
À l’annonce de la nouvelle de l’enlèvement, Ferhat Mehenni lance un ultimatum spectaculaire aux ravisseurs, en menaçant de « guerre totale contre les islamistes ». Cet ultimatum, était une annonce frontale de la mise-à-mort de Matoub Lounès.

Neuf ans plus tard, Ferhat Mehenni, dans un ouvrage rédigé par Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire Françalgérie, crimes et mensonges d’État, se justifie de cette lourde erreur qui aurait pu coûter la vie au chanteur Matoub Lounès par le fait

« d’avoir céder aux pressions de Saïd Sadi (patron du RCD) et de Nourredine Aït-Hamouda (cadre du parti, proche du DRS). »

Affinités électives à première vue, et opportunisme.

Nous apprenons, toujours dans cet entretien, que Ferhat Mehenni aurait, dans un premier temps, rédigé un communiqué « prudent » pour protéger l’otage (Nous n’avons trouvé aucune trace de ce communiqué, ni dans la presse, archives, microfilms, radiophoniques…).

Mais, le jour de l’enlèvement, au téléphone, Saïd Sadi lui aurait dicté un communiqué plus radical :

« Nous donnons 48h au GIA pour libérer Matoub Lounès, sinon nous déclarons la guerre au GIA ».

Ferhat Mehenni explique que cette nouvelle dictée

« a failli le faire tomber à la renverse… mais qu’il a quand même signé ».

Il s’est donc exécuté sans sourciller.

Ali Idir, médecin et responsable d’une unité du GIA en Kabylie déclare :

« Quand il a entendu cet ultimatum du RCD à la radio, Matoub tremblait de peur. Il craignait qu’on le tue ».

Puis c’est à ce moment que Ferhat Mehenni se serait demandé s’il ne s’était pas fait manipuler, et aurait fait suspendre l’ultimatum (beaucoup d’anciens membres du MCB confirment cette prise de position tardive. Notons que les auteurs de l’ouvrage Françalagérie, se demandent si l’histoire n’a pas été réécrite en faveur du leader du GPK actuel, car le retournement de situation 9 ans plus tard est assez exceptionnel ?)

À ce moment précis de l’histoire de l’enlèvement, entre en scène Zitouni, homme fort du GIA dans l’Algérois, qui est pour la mise-à-mort immédiate du chanteur. Matoub fut finalement libéré le 10 octobre, en échange d’une mission :

« Transmettre des messages du GIA à la population ».

Évidemment, Matoub Lounès ne tint jamais sa parole, sur cet accord, par fidélité à son combat et à son engagement viscéral.

Ferhat Mehenni, quelques années plus tard

Nous sommes à présent le 31 mai 1996. Un encart (non signé) d’une vingtaine de ligne, vint à paraître dans le journal quotidien français Le Monde.
Monsieur Mehenni (qui est encore membre du MCB) annonce la prochaine publication d’un livre écrit par ses soins Clair obscur en Algérie (titre provisoire de l’époque).
Il annonce également qu’il a « de grandes révélations à faire », notamment que la libération de Matoub Lounès s’est faite « dans des conditions mystérieuses ».
Et ajoute que :

« Matoub Lounès aurait monté son enlèvement de toutes pièces par ses propres amis politiques du chanteur »

dans le cadre

« d’une déstabilisation de la Kabylie au profit d’un clan au pouvoir ».

Puis il conclut par le fait de détenir « des preuves formelles étayées de faits précis » (preuves qui n’ont jamais été publiées, même dans le journal Le Monde)

Étrange acharnement d’un même personnage envers le chanteur engagé Matoub Lounès ? Ce dernier n’a d’ailleurs pas été complaisant, puisqu’il a intenté une action en justice envers Ferhat Mehenni et le quotidien français.

Peu après cet encart de quelques lignes, le 17 juin 1996, le MCB annonce officiellement par voie de presse, dans les colonnes du Monde que Ferhat Mehenni est définitivement exclu du MCB par le bureau national.

En effet, le précédent article du 31 mai 1996, était ni plus ni moins un lavage et un cautionnement des actions terroristes du GIA, en niant l’enlèvement de Matoub Lounès.

Ferhat Mehenni en 2005

Fondateur de plusieurs associations loi 1901, il fait publier au Journal Officiel français, le 02/07/2005, les statuts de l’association Akmam : Paris (Île-de-France)

Objet : défense et promotion de la Kabylie et de sa mémoire, soutien de la vérité sur les cas d’assassinats politiques (Printemps noir 2001, Matoub Lounès…) ; action contre l’impunité des criminels politiques ; défense des libertés démocratiques ; promotion de la mémoire kabyle pour une meilleure intégration de notre communauté en France. Date de la déclaration : 2 juin 2005.

Que retrouvons-nous dans le corps du texte ?

À nouveau le nom de Matoub Lounès ! Mais cette fois c’est pour le défendre outre-tombe, car son crime n’est toujours pas élucidé.
Le MAK à l’époque n’a que 3 ans et demi d’existence légale, et a besoin de visibilité sur la scène médiatique.
De plus mener une enquête depuis la France, pour trouver un assassin dans un pays militaire, ne semble pas augurer un succès de résultats, mais peu importe le nom du chanteur assassiné peut encore servir. Cette association a été laissée à l’abandon depuis quelques années, en revanche aucune dissolution des statuts n’a été prononcée au JO, auprès du procureur.

Ferhat Mehenni en 2010

Il met en UNE de son blog, une banderole-bannière rendant hommage au chanteur assassiné, dont il s’est escrimé durant son vivant à le livrer en pâture aux forces obscures islamistes.
Nous sommes en droit de nous poser quelques questions sur la légitimité, et le bien-fondé de ce retournement opportuniste de situation ? GPK oblige ?

Questions :
Pourquoi ne pas avoir démissionné comme tout bon commandant de bord, à la dictée de l’ultimatum offensif de Saïd Sadi ? Est-ce par confort du poste ?
Pourquoi être revenu à l’assaut 2 ans plus tard, dans un encart minuscule, pour manipuler les consciences contre Matoub Lounès, alors que 2 plus tôt il disait être « prudent » ?
Pourquoi ne pas avoir donné plus d’indications concernant « le clan » avec lequel Matoub Lounès aurait eu des affinités ? Ainsi que des preuves ?
Pourquoi se servir de lui, une fois bel et bien mort, pour galvaniser une association fantôme (à moins que le nom de Matoub Lounès fasse soulever des fonds) ?
Pourquoi réécrire l’histoire ?
Pourquoi avoir accusé Matoub Lounès de déstabilisation de la Kabylie, alors que le communiqué avec l’ultimatum de 48h était beaucoup plus déstabilisant ?

Matoub Lounès est réellement décédé, et de son vivant il eut gain de cause auprès de la justice française, pour diffamation, le 11 septembre 1997, contre le leader du GPK (encart paru dans Le Monde, avec les excuses de la rédaction, qui fut condamné également).

Il est temps d’arrêter de faire du nom de Matoub Lounès, un fonds de commerce morbide et de le transformer en outil de marketing politique à des fins mercantiles.

Voir le jugement condamnant Ferhat Mehenni pour diffamation

Françalgérie, crimes et mensonges d’État – Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire – éditions de la Découverte – 2008

Le Monde :
30-31 mai 1996 – Article « Remous autour de l’affaire Matoub Lounès » – sans auteur signé
17 juin 1996 – Article « Au mouvement culturel berbère » par Makjid Amokrane.
26 septembre 1997 – Article rectificatif – Matoub Lounès gagne son procès. (Éditions disponibles sur microfilms auprès des bibliothèques, de prêts et d’emprunts, spécialisées en presse)

Journal Officiel :
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26, rue Desaix – 75727 Paris cedex 15

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