Biographie

Il y a 25 ans disparaissait Mouloud Mammeri


(1917 – 1989)

Mouloud Mammeri est né le 28 décembre 1917 à Taourirt-Mimoun (At-Yanni). Il fit deux séjours au Maroc (1928-1932 et 1957-1962), un passage au lycée Louis-le-Grand (Paris) avant d’être mobilisé et de parcourir l’Italie, la France et l’Allemagne. Professeur de lettres, il fut affecté à l’université d’Alger après l’indépendance en tant qu’enseignant de langue et de culture berbères. Il est mort le 26 février 1989, à Aïn Defla, en revenant d’un colloque sur la littérature organisé à l’université d’Oujda au Maroc, un arbre serait tombé sur sa voiture.

Mammeri, anthropologue, s’intéressa surtout à la littérature orale kabyle ; il édita ainsi Les Isefra, poèmes de Si Mohand (1969) et L’Ahellil du Gourara (1986). Ecrivain, il publia quatre romans : La colline oubliée (1952), Le sommeil du juste (1955), L’Opium et le Bâton (1965) et La traversée (1982), deux pièces de théâtre, La mort absurde des Aztèques (1973), Le Foehn (1982), un essai, Le Banquet (1973), deux recueils de contes, Machaho et Tellem chaho ! Contes berbères de Kabylie (1980) et La cité du soleil (1987).

Chaque roman de Mouloud Mammeri est une étape du peuple kabyle

Mammeri, à l’évidence, puise son inspiration dans son œuvre d’anthropologue natif. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire l’un après l’autre L’ahellil du Gourara et La traversée : La forme romanesque, par la rigueur de sa construction et les bonheurs de son style, donne une dimension épique et tragique à cette profondeur anthropologique.

Homme aux nombreuses facettes, Mammeri est l’un des fondateurs de la littérature nord africaine d’expression française. Ses œuvres sont des classiques et pas seulement dans les pays de langue française. Son œuvre est un des sujets privilégiés de la recherche universitaire sur la littérature francophone non française. Elle a fait l’objet de nombreuses études et publications.

Mammeri, porte-drapeau d’une culture qu’il a contribué à faire découvrir sur la scène internationale. Il a su maintenir intacte ses racines et l’attachement à sa culture alors qu’il avait subi, à travers la scolarisation française, l’immersion dans un monde, dans une langue qui n’était pas la sienne. Le miracle a été que ce monde nouveau pour lui au lieu d’engendrer le reniement de ses origines a provoqué une prise de conscience de la valeur universelle de la culture dont il était issu.

On pourra dire que les Isefra (1969) et les Poèmes kabyles anciens (1980) de Mammeri sont la quintessence de la kabylité. Deux livres qui résument toute une société, son histoire, ses valeurs, ses aspirations et son quotidien.

Mammeri, en s’attachant à retrouver et à restituer le texte kabyle, connaissait les dépositaires les plus sûrs du patrimoine littéraire kabyle. Ils ont été sa source permanente. Et puis, le magnifique corpus de poèmes rassemblés est également servi par une traduction, œuvre elle-même d’un vrai poète, dans les deux langues qu’il mettait côte à côte. De là vient la puissance de ces livres à deux publics simultanés, le kabyle et l’universel. A la fois, ils réactualisent et fixent pour les Kabyles un patrimoine d’une densité exceptionnelle, le message profond et permanent des aïeux, et ils portent en même temps à la connaissance universelle le témoignage et le chant d’un peuple.

Spécialiste de culture kabyle d’abord et surtout, mais aussi des autres groupes berbérophones : du Maroc central qu’il avait connu de l’intérieur, des Touareg de l’Ahaggar, du Gourara… rien de ce qui était berbère ne lui était étranger ; Mammeri connaissait, appréciait et savait faire partager les finesses des diverses traditions de la berbéritude. Mammeri était aussi un anthropologue, fin connaisseur et observateur de sa société ; tous ses ouvrages de poésie berbère sont accompagnés d’une présentation conséquente du contexte social et culturel qui a produit ces œuvres. Ses synthèses introductives, aux poèmes de Si Mohand, à la poésie kabyle ancienne, à l’Ahellil du Gourara ont fait date parmi la jeunesse à laquelle elles apportaient un guide condensé et accessible, dans un univers où la source écrite est rare et souvent d’accès difficile.

Mammeri, artisan de la langue qui nous aura laissé la première grammaire écrite en kabyle (Tajerrumt, 1976) et qui aura initié, encouragé et dirigé une bonne partie du travail de modernisation linguistique (notamment lexicale) mené à bien à partir du début des années 70, notamment l’Amawal, glossaire anonyme (Paris, Imedyazen, 1980) de termes néologiques modernes et techniques qui est, pour l’essentiel, son oeuvre : il l’a élaboré avec un petit groupe d’étudiants kabyles qui constituaient son entourage au CRAPE, entre 1970 et 1975. On y reconnaît d’ailleurs immédiatement sa patte, dans certains de ses choix, dans le recours prioritaire aux dialectes berbères du Maroc (tacelhit) et surtout au tamacheq Ahaggar qu’il connaissait bien puisqu’il avait collaboré avec Jean-Marie Cortade à l’élaboration de l’index inverse (français/ touareg) du Dictionnaire touareg de Charles de Foucauld.

Mouloud Mammeri a également dirigé deux périodiques scientifiques

Libyca : revue annuelle du Centre de Recherches Anthropologiques, Préhistoriques et Ethnographiques (Alger), institution dont il a été directeur de 1969 à 1980.

Awal – Cahiers d’études berbères : revue annuelle publiée par la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) et le Centre d’études et de Recherches Amazigh (CERAM), association fondée à Paris en 1984 par Mouloud Mammeri et hébergée par la MSH.

Mammeri, c’était le pédagogue de la langue et de la culture kabyles, surtout pendant la période héroïque de son cours à l’université d’Alger, de 1965 à 1972. Cours discret à ses débuts. Puis ce fut l’affluence, les dizaines, la centaine. Son cours hebdomadaire était devenu pour les jeunes kabyles un pèlerinage, un lieu où l’on vient apprendre un peu de la sagesse du maître, mais aussi un lieu de communion, un lieu où se tissent des réseaux, des projets, où se construit l’avenir. Soyons clair : Mammeri n’était pas un chef, ni un organisateur ; il ne tirait aucune ficelle, ne distribuait des tâches à des adeptes. Il détestait même que l’on tentât de lui faire jouer un tel rôle. Son impact social, son intervention dans la cristallisation de la mouvance kabyle, il les devait avant tout à son rayonnement, à sa présence constante, sur la longue durée ; à sa position de détenteur et de témoin d’un savoir, toujours prêt à recevoir, à écouter, à répéter le message de la kabylité à une jeunesse avide de l’entendre. D’autant que Mammeri était un homme d’un abord facile, toujours affable.


Toute l’œuvre et les actions de Mammeri furent celles d’un grand poète de résistance. Une résistance tranquille, faite de présence et de sagesse. Jamais d’agression, de violence ou de haine.

Pour les kabylophones, Mammeri restera le maillon essentiel dans une chaîne de transmission, le témoin d’élite de la culture et de la langue, au milieu de la marée montante d’un arabo-islamisme exclusif, violemment hostile à la kabylité dont la mise à mort était ouvertement programmée. Homme d’idées, chantre d’une culture, il aura eu, avant de mourir, ce rare bonheur de constater que les jeunes générations ont, massivement, repris le flambeau.

L’œuvre de Mammeri

La colline oubliée, Paris, Plon, 1952, 255 p. (roman)
Le sommeil du juste, Paris, Plon, 1955, 254 p. (roman)
L’opium et le bâton, Paris, Plon, 1965, 290 p. (roman)
Le banquet, suivi de La mort absurde des Aztèques, Paris, Librairie académique Perrin, 1973, 312 p. (essai et pièce de théâtre)
La traversée, Paris, Plon, 1982, 197 p. (roman)
Le Foehn, Paris, Publisud, 1982, 94 p. (théàtre)
_ Machaho ! et Tellem Chaho ! (contes berbères de kabylie), Paris, Bordas (’Aux quatre coins du temps’), 1980, 125 et 123 p.
_ Mouloud Mammeri, Entretien avec Tahar Djaout, suivi de La cité du soleil (inédit), Alger, Laphomic (’Itinéraires’), 1987, 94 p.

Nouvelles et récits

Ameur des arcades, La Table ronde (1954, selon Déjeux 1981).
Le zèbre, Preuves, 76, juin 1957 33-37
La meute, Europe, 567-568, 1976 68-76.
Le désert atavique, Le Monde, 16-17 aoùt 1981. (brève nouvelle, préfigurant La Traversée)

L’œuvre berbérisante

Lexique français touarègue, dialecte de l’Ahaggar, 1967, Alger, IRS-CRAPE, 511 p. (en collaboration avec J.M. Cortade)
Isefra, Poèmes de Si Mohand ou Mhand, Paris, Maspero, 1969 (réédit. 1982), 480 p.
Tajerrumt n tmazirt (tantala taqbaylit), Paris, Maspéro, 1976, 118 p.
Poèmes kabyles anciens, Paris, Maspera, 1980 (réédit. 1987), 470 p.
L’ahellil du Gourara, Paris, MSH, 1985, 446 p.
Précis de grammaire berbère (kabyle), Paris, MSH (Awal), 1986, 136 p. (première édition ronéotypée : Université d’Alger, 1967, 164 p.)
Cheikh Mohand a dit. Yenna-yas Ccix Muhend, Alger, CERAM, 1989, 208 p.
Mouloud Mammeri : Culture savante, culture vécue (études 1936 – 1989), Alger, Tala, 1991, 235 p.

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