Tribune libre

Une coalition d’ONG exhorte l’ONU à ouvrir une enquête sur le Yémen

Soixante-deux organisations de défense de droits humains réclament la création d’une commission d’enquête indépendante sur les abus perpétrés depuis le début du conflit.

La guerre au Yémen, qui a coûté la vie à au moins 10.000 personnes depuis son déclenchement en mars 2015, ne cesse d’alarmer les ONG. « Le Yémen connaît aujourd’hui la plus grande crise humanitaire au monde », selon un appel, qui plaide pour l’ouverture d’une « enquête internationale indépendante sur les violations et les abus des droits de l’homme et du droit international humanitaire » dans le pays, ravagé par la guerre, la famine et le choléra. Cosignée mardi 29 août par 62 organisations non gouvernementales internationales, la lettre s’adresse aux représentants permanents des États membres et observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

Parmi ces organisations, on compte Amnesty International et Human Rights Watch, mais aussi des ONG actives au niveau régional et local comme le Yemen Humanitarian Forum, basé à Sanaa, la capitale du pays et théâtre des bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite. Riyad soutient le gouvernement yéménite depuis mars 2015 contre les forces rebelles houthistes, soutenues par l’Iran, qui contrôlent la ville. Les signataires exhortent l’ONU à agir de manière urgente contre les abus perpétrés par « toutes les parties du conflit ».

Avec au moins 7 millions de personnes menacées par la famine, et des centaines de milliers touchées par une épidémie de choléra, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient est plongé dans une guerre civile à laquelle se sont mêlés une dizaine de pays. Les ONG dénoncent les entraves à l’acheminement de l’aide humanitaire vers les zones les plus affectées, notamment dans le nord-ouest.

Des écoles et des hôpitaux bombardés

Celles-ci dénoncent autant le gouvernement officiel d’Abd Rabbo Mansour Hadi – le seul reconnu au niveau international – et ses alliés étrangers de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite, que les rebelles houthistes, alliés à l’ex-président Ali Abdallah Saleh. Ce dernier avait été destitué en 2011 dans la foulée du « printemps arabe » et tente depuis, grâce à une alliance de plus en plus fragile avec les houthistes, de reprendre le contrôle du pays.

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), au moins 5.110 civils ont été tués et près de 9 000 blessés depuis mars 2015, et ce bilan pourrait être largement sous-estimé. Les frappes aériennes de la coalition emmenée par l’Arabie saoudite, qui ont visé des écoles, des hôpitaux, des marchés et des habitations, notamment à Sanaa, sont des « crimes de guerre », accusent les ONG, qui dénoncent aussi ceux perpétrés par les houthistes, comme des bombardements massifs de villes très peuplées à l’instar de Taëz et Aden (sud-ouest) et des tirs indiscriminés contre des civils.

Les détentions arbitraires et les disparitions forcées de centaines d’activistes, de défenseurs des droits humains et de journalistes ont réduit la portée des médias et de la société civile, en proie aux persécutions des deux camps, plongeant la tragédie yéménite dans un silence presque absolu.

Une exigence de longue date

Ce n’est pas la première fois que les ONG et le HCDH font front commun pour exiger du Conseil des droits de l’homme de l’ONU qu’il intercède auprès des responsables du conflit. En septembre 2015, ce dernier avait sommé le gouvernement yéménite de créer une commission nationale afin de réaliser une « enquête efficace » sur les abus.

Un an plus tard, une autre résolution du Conseil visait à renforcer cette commission avec la présence du HCDH sur le territoire afin d’« établir les faits et les circonstances des violations présumées » des droits des civils. Mais l’alliance houthiste s’est ouvertement opposée à l’action de la commission et du HCDH, refusant d’emblée toute forme de coopération avec ceux qu’elle estime ses ennemis.

L’enquête de la commission yéménite, soutenue par Riyad, n’a pas convaincu les ONG de sa fiabilité. Une commission internationale et indépendante pourrait donc voir le jour lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme, du 11 au 29 septembre à Genève, pour peu que les États membres parviennent à s’accorder sur ce dossier.

Carolina Rosendorn, Le Monde, 09 Septembre 2017.

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