Chronique

Les dessous des « accords » de Sant’Égidio

Vendredi 15 avril 2005 ; j’ai exhumé ici un texte écrit en juillet 1998 et réactualisé aujourd’hui. À l’époque, aucun canard algérien zaâma démocrate ne voulut le publier dans sa rubrique opinion.

Les Kabyles appelaient pompeusement leur région « la petite Suisse algérienne ». Mais Ait Ahmed connaît bien la vraie Suisse et n’aime pas la contrefaçon. Depuis quand la petite « Suisse algérienne » est-elle infestée de terroristes islamistes ? Après 1995. Année ou Ait Ahmed les a officiellement invités à (re)prendre en main la Kabylie. En scellant une alliance avec eux, le Pape lui-même étant moralement témoin, Ait Ahmed a été accueilli par les autres signataire en zaim suprême, en émir, en potentat de la Kabylie. Chez les Algériens arabo-musulmans, Ait Ahmed n’a jamais été autre que cela. Lui seul, dans son coin paradisiaque au bord du Lac, rêve d’une envergure révolutionnaire nationale qu’il aurait eue ou qu’il aurait un jour en post mortem.

Vivant à l’époque dans une ville arabe, fortement islamiste, j’ai pu mesurer la signification des « accords » de Sant’Égidio. L’opinion publique a perçu la signature de la « solution » Saint Égidio comme le règlement de la question kabyle. Une normalisation de la région vis-à-vis de l’islamisme. Les Kabyles, cependant, avec l’aide idéologique bienveillante du FFS, ont vu en cette plateforme le ralliement de l’islamisme à la démocratie.

Un jour, en discutant avec un secrétaire national du FFS qui me paya quelques bières à l’occasion du succès Sant’Egidio, j’ai hasardé la question de savoir si le FIS avait promis de réviser son programme et ses textes fondateurs à la lumière des accords de Sant’Egidio. Il me répondit : « ils ne vont quand même pas réviser le coran et la charia ! ». L’euphorie de la bonne bière aidant, je partis d’un fou rire bruyant et interminable. Les chefs islamistes et leurs électeurs n’ont jamais prétendus régler la « crise politique » algérienne par une simple signature d’un protocole en l’absence de la deuxième partie concernée, c’est-à-dire le pouvoir algérien. Je ne vois pas comment l’opposition représentative (sans guillemets) pourrait se réunir unilatéralement et amener le pouvoir à de meilleurs sentiments démocratiques, alors que l’islamisme est bien loin d’avoir la réputation d’être particulièrement démocrate. Le régime algérien n’a jamais été aussi arrogant et aussi méprisant envers le peuple que depuis la révélation honteuse des préférences de ce peuple pour l’islamisme nu et dru. Le pouvoir semble signifier au monde que puisque ces bonnes gens ne veulent rien d’autre qu’un régime dictatorial, totalitaire, injuste et vétuste, eh bien, il est déjà en place et il serait inutile de dépenser les deniers de l’État et de chambouler les habitudes pour le même résultat ou pire. La légitimité dictatoriale et totalitaire, le régime l’a déjà, alors lui ou un autre, autant que ce soit lui.

En fin de compte, à Sant’Egidio, le FFS a signé un pacte avec les responsables de la longévité et de la pérennité de ce régime. Pourtant tout le monde a relevé que lors de cette rencontre, des concessions mineures ont été superficiellement faites par 2 parties qu’on ne désigne jamais comme telles. Ces deux parties ne sont rien d’autres que le FIS et le FFS. À la lecture des termes de ce pacte, on s’aperçoit que tous les termes ont été soigneusement recherchés au profit des islamistes de manière à éviter la clarté. Cette clarté qui pourrait révéler à l’électorat du FIS qu’il a renié ses idéaux intégristes.

Voyons quelques un des termes de ce contrat :

« La restauration de l’état algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes de l’islam » :

A qui peut bien s’adresser cet article ? Pas au pouvoir de toute façon. Toutes les constitutions concoctées par ce pouvoir disent exactement la même chose. Le pouvoir se dit démocratique et respectueux des principes de l’islam. Quelle est donc la partie signataire qui est soupçonnée de ne pas se montrer claire sur cette question des principes islamiques ? La Kabylie, pardi ! Tous les scrutins ont montré que les Kabyles se foutent des principes de l’islam en tant que principes politiques. Donc le FFS s’est chargé de corriger ce regrettable malentendu à Sant’Egidio. Maintenant voyons la raison de la présence du terme « démocratique » dans cet article. En 1995, tout le monde savait que le FFS est pour la démocratie et les islamistes contre. C’est donc au tour des islamistes de faire une concession au FFS en acceptant de signer un document comportant le mot « démocratie ». Seulement voilà, le FFS s’est fait avoir jusqu’au trognon. Au mot « démocratie » on peut faire dire n’importe quoi. L’Iran est APPAREMMENT une république démocratique. Le président de la République est élu, les députés sont élus, les responsables locaux sont élus et tout le monde jouit de la liberté d’expression, de la liberté d’opinion, de la liberté de culte etc., mais dans le respect des principes de l’islam. Il y a toujours un truchement efficace pour faire sortir un opposant du « cadre des principes de l’islam » et l’accuser légalement de tous les maux. En gros, toutes les variations sont permises, mais toujours sur le même thème : l’islamisme. C’est comme les détenus libres de faire ce qui leur semble dans le cadre nu de leur cellule. C’est cela la conception de la démocratie chez les islamistes. Regardons maintenant la notion « cadre des principes de l’islam ». Il serait difficile de faire dire n’importe quoi à ces principes. Ils sont écrits noir sur blanc depuis des siècles, immuables, dans le Coran et dans !

« Rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir ». Qui est réputé utiliser la violence pour accéder au pouvoir ? Pas le FFS ! Qui est réputé utiliser la violence pour se maintenir au pouvoir ? Pas le FFS non plus ! Qui est donc concerné par cet article ? N’importe quel idiot vous répondra : les islamistes et le pouvoir ! Qui devrait donc signer un accord sur la non-utilisation de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir ? Le même idiot vous répondra : les islamistes et le pouvoir ! Alors que peut bien faire le FFS dans cette histoire de violence ? Toujours le même idiot vous répondra : se faire couillonner ! Comment ça, se faire couillonner ? Un autre idiot, mais moins idiot quand même (en l’occurrence moi !) vous répondra : les islamistes font passer le FFS pour un parti susceptible d’utiliser la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir. Si le FFS signe un tel article, c’est qu’il accepte que l’islamisme le fasse passer pour un parti qui ne vaut guère plus qu’un parti islamiste ou une bande de militaires assoiffés de pouvoir et de sang. Encore bravo Ait Ahmed ! !

« Le rejet de toute dictature quelle que soit sa nature, sa forme et le droit du peuple à défendre ses institutions élues, le respect et la promotion des droits de la personne humaine tels qu’énoncé par la déclaration universelle, les pactes internationaux, les pactes internationaux, la convention internationale contre la torture et consacré par les textes légaux »

Tout ce blabla est vite annulé par la disposition « dans la cadre des principes de l’islam » et dans un article plus loin, par « la primauté de la loi légitime ». La plupart des pays totalitaires, des dictatures et de pays islamiques ont signé ce blabla… Mais justement, les textes légaux propres à ces pays annulent tout d’un trait. Raison d’État oblige ! Des dispositions pareilles, les islamistes vous en signeront des dizaines par jour. « Le respect de l’alternance politique à travers le suffrage universel » : S’il y a un article qui ne gêne pas les islamistes, c’est bien celui-là. Alternance au pouvoir ? Aucun problème ! Aujourd’hui c’est le FIS, demain NAHDA, après demain HAMAS, le suivant le MRN et même, pourquoi pas, le FLN le mandat d’après. Toujours dans le respect des « principes de l’islam » et avec « la primauté de la loi légitime », s’il vous plait !

« Le respect de la légitimité populaire. Les institutions librement élues ne peuvent être remise en cause que par la volonté populaire »

En lisant une telle déclaration un islamiste algérien ne pense qu’au passé (1991), jamais à l’avenir. En effet, l’islamisme s’assure toujours qu’une situation où la légitimité populaire ne serait pas respectée ne se présente jamais sous son règne. A-t-on déjà vu un pays musulman, voire islamiste, entrer en démocratie par la simple volonté populaire innée ? Dans la tête d’un responsable islamiste, la notion du respect de la légitimité populaire ne viserait qu’à corriger l’injustice de 1991. Après, une fois au pouvoir, l’islamisme sera toujours légitimé par le peuple. Si, par miracle, d’autres candidats autres qu’islamistes arrivaient à se présenter à un scrutin en se faisant passer pour des « islamistes réformateurs », et si par un autre miracle elles gagnaient les élections, il y aura toujours la soupape de sécurité « cadre des principes de l’islam ». Si par malheur cette soupape s’avère insuffisante, eh bien, il y en a une deuxième : « la primauté de la loi légitime ». « La primauté de la loi légitime » : Celle-là une perle ! toute loi est légitime. Reste à savoir si cette légitimité est divine, démocratique, royale, Pourquoi, Bonté Divine, ont-ils ajouté le terme « légitime » à « loi » ? Cet article est à consommation kabyle. Les Kabyles étant réputés très peu au fait des subtilités de la langue arabe, les islamistes et le FFS ont trouvé un moyen de leur faire gober la charia en ayant recours à une traduction hilarante : la loi légitime est la traduction mot à mot de « el qanun echcher’î », qui dans le langage juridique islamique ne désigne rien d’autre que la charia. Il y va sans dire que la seule légitimité reconnue par les islamistes est la légitimité religieuse. Si l’article parlait simplement de « la primauté de la loi », on aurait compris qu’il s’agit de la loi au sens du droit positif. S’il s’agissait de la loi positive dans cet article, il aurait été bien rigolo : en effet, des signataires (représentatifs de tout un peuple) s’engagent à respecter désormais la loi ! Cela veut dire que jusque-là, ces respectables responsables politiques ne se souciaient pas vraiment du respect de la loi. Mais, les islamistes et Le FFS ne sont pas des rigolos, malheureusement ! il s’agit bien de la charia à faire gober aux Kabyles. Le tour est joué ! Bravo encore Ait Ahmed. « La garantie des libertés fondamentales, individuelles et collectives quelles que soit la race, le sexe, la confession et la langue » : Trop tard ! ! le train du « cadres des principes de l’islam » est déjà passé et a raflé tous les voyageurs ! S’il en restait quelques-uns, la navette « primauté de la loi légitime » les a embarqués. Mais quand même on peut faire un petit commentaire. Quelle que soit la race ? Mais tout le monde est Arabe !

Quel que soit le sexe ? Cependant, bien sûr, le code de la famille restera de rigueur ou un peu renforcé. Quelle que soit la confession ? Mais tout le monde est musulman ! Quelle que soit la langue ? Oui, à condition que le français disparaisse, que tamazight se taise, s’écrive en arabe et fasse des prêches islamistes. « La consécration du multipartisme » : Aucun problème ! Il y aura le FIS, NAHDA, le FLN, le HAMAS, le MRN, le JMC, le PRA… Vient l’article sur le rôle de l’armée : Sans commentaire. L’armée étant absente lors de la signature de ce contrat.

« Les éléments constitutifs de la personnalité algérienne sont l’islam, l’arabité, l’amazighité ; la culture et les deux langues concourant au développement de cette personnalité doivent trouver dans ce cadre unificateur leur place et leur promotion institutionnelle, sans exclusion ni marginalisation ».

Cet article est une mine de démagogie et de populisme. Je comprends par « personnalité algérienne », les attributs globaux culturels, linguistiques, religieux, philosophiques et politiques de la nation algérienne (nation à laquelle croient les signataires du contrat). Regardons cela de plus prés. D’abord, si la personnalité algérienne s’est constituée et forgée à travers l’histoire à partir d’un noyau préexistant enrichi par des apports extérieurs, la chronologie serait plutôt : amazighité, islamité et arabité. Mais les signataires énoncent : islam, arabité et amazighité. Il s’agit donc de la personnalité idéologique de la nation algérienne. Cela prouve que tout ce qui est ajouté après à cet article, c’est du blabla sans valeur. Il y a comme un petit malaise dans cette histoire de « personnalité algérienne ». Les textes fondateurs de la République algérienne définissent la « nation » comme arabe ET musulmane. L’amazighité est citée en préambule. Voyons où l’utilisation du terme « constituants » est impropre.

Pour cela utilisons un exemple schématique : je prends 4 constituants : de la farine, du sucre, de la vanille et des œufs. Je prépare un bon gâteau qui mijote quelque temps au four. J’obtiens un gâteau qui n’est ni de la vanille, ni du sucre, ni de la farine, ni des œufs. C’est un gâteau, point. On peut y trouver la prédominance du goût sucré, mais personne n’irait raconter qu’il a mangé un « bon sucre » chez Ariless. Mon produit restera un gâteau ! D’après l’utilisation du terme « constituants », les Algériens seraient des Algériens, point final. La personnalité algérienne, en tant que synthèse, mixage de l’arabité, de l’islamité et de l’amazighité n’existe pas. Sinon, les Marocains aussi seraient des Algériens. Les ingrédients « islam, arabité et amazighité » se trouvent autant en Algérie, qu’au Maroc, en Mauritanie, en Tunisie, en Libye. Tous ces pays ont donc la personnalité algérienne. Au moins quatre autres « Algéries » ? Incroyable ! Maintenant, supposons que cette « personnalité algérienne » n’est pas le brassage, la synthèse globale des trois constituants, donnant une nation islamo-arabo-amazigh appelée « nation algérienne ». C’est-à-dire que la notion de « personnalité algérienne » est relative à l’individu, au citoyen algérien. Cet article signifie-t-il que chaque Algérien est à la fois musulman, Arabe et Amazigh ? On sait que non, depuis au moins un certain printemps 1980. Peut-être que ce triptyque veut dire qu’en Algérie il y a des musulmans, des Arabes et des Imazighen ? Là nous tombons à pic dans la rubrique ethnies.

L’islam constitue-t-il donc une ethnie ? cela veut-il dire que les musulmans algériens ne seraient ni des Arabes ni des Imazighen, les Arabes ne seraient ni des musulmans ni des Imazighen et les Kabyles ni des Arabes ni des musulmans. La majorité de ses individus se définissent comme musulmans d’abord, puis Arabes. Une minorité se définit comme Kabyles, puis accessoirement musulmans du bout des lèvres. Que ce soit à l’échelle de l’individu ou à l’échelle de la nation, cette histoire de triptyque définissant la personnalité algérienne est idiote. À la limite, elle tiendrait la route si on admettait que la personnalité algérienne est globalement définie par l’amazighité et l’arabité. Nous en arrivons à la suite de l’article : « la culture et les deux langues concourant au développement de cette personnalité doivent trouver dans ce cadre unificateur leur place et leur promotion institutionnelle, sans exclusion ni marginalisation ». Notons d’abord que l’article parle d’une seule culture (sans dire laquelle) et de 2 langues. Généralement, là où il y a 2 langues, il y a 2 cultures. Mais l’essentiel n’est pas là. Cet article aurait une signification réelle s’il énonçait : la langue amazighe concourant aussi au développement de la personnalité algérienne, elle doit trouver sa place dans ce cadre unificateur et sa promotion institutionnelle sans exclusion ni marginalisation. Pourquoi l’article devrait-il énoncer cela explicitement ? Parce que jusque-là, c’est la langue tamazight qui est marginalisée, exclue, non promue et ignorée par les institutions. La langue arabe n’a pas ce genre de problème. Elle bénéficie déjà de toutes les faveurs de l’État et du peuple. Pourquoi donc le contrat de Sant’Egidio, qui se définit comme solution à la crise multidimensionnelle, propose-t-il une solution à un problème qui ne s’est jamais posé et défoncer ainsi des portes ouvertes ? Tout simplement parce que dans la tête des responsables islamistes et du peuple arabe en général, les Kabyles militeraient pour la disparition de la langue arabe.

L’opinion populaire arabo-musulmane pense réellement que les Kabyles menacent la langue arabe dans le pays et complotent secrètement pour la remplacer par tamazight ou à défaut par le français. Si le FFS accepte de signer le contrat dans ces termes, c’est qu’il le pense aussi. Inutile de rectifier en disant que les Kabyles pensent : « l’arabe aux Arabes et tamazight aux Imazighen. Et tout Arabe est libre de redevenir Amazigh demain matin à l’ouverture des bureaux ! Le français pour tous ceux qui en veulent ! »

« La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire » : Tout le monde sait que cette séparation n’a aucun intérêt immédiat pour le simple citoyen en tant que justiciable. C’est souvent dans les affaires politiques, les scandales financiers, les affaires de gros sous, les gros détournements, les règlements de comptes entre détenteurs de pouvoir et opposants importants que ces différents pouvoirs se marchent sur les plates-bandes. En outre, il y a toujours des impératifs desservant « les intérêts supérieurs de la nation » qui font qu’une hiérarchie se construit temporairement entre ces pouvoirs. Et cela même dans une vraie démocratie. En revanche, la séparation intéressante, qui aurait un impact direct sur la vie quotidienne du citoyen, serait la séparation du politique et du religieux. Mais le FFS sait qu’il est vain de proposer cela à des islamistes. Et pour cause ! De toute façon, inclure cette séparation dans un contrat tel que celui-ci, signé en plus sous le patronat d’une autre grande institution religieuse, serait de la provocation. Sans parler du risque quasi certain que ce contrat ne trouve aucun écho chez les Algériens, en majorité islamistes. La liberté et le respect des confessions : Dans le cadre des « principes de l’islam » et de la « primauté de la loi légitime », bien entendu. Oui, les ibadites, les chiites, les sunnites, les soufis peut-être, les kharidjites, les hanbalites, les malékites, les wahhabites, les troglodytes seront respectés. Voila donc le contrat de Sant’Egidio explicité et expliqué aux Kabyles.

L’islamisme a toujours été et est toujours tenté de prendre le pouvoir par la force et d’instaurer un état salafiste. C’est la nature même de l’islamisme de s’installer par la force pour ne jamais créer d’antécédent démocratique. La plateforme de Sant Égidio ne visait qu’à ruser pour rallier la Kabylie ou du moins la neutraliser. Je veux dire la rendre neutre dans la concurrence sanglante pour le pouvoir entre l’islamisme dévoilé et l’islamisme voilé du régime algérien. Or, en dehors de la Kabylie justement, cette plateforme est bel et bien vue par tous comme une sorte de pacte, voire d’accord politique. Entre qui est qui ? Pas entre Louisa Hanoune et Abdelhamid Mehri, quand même ! Ni entre Ali Yahia Abdennour et Ahmed Benmohammed du miniscule JMC ! Encore moins entre Djaballah et Haddam, déjà frères en idéologie et alliés de fait ! Cette plateforme aurait-elle fait tant de satisfaits chez les islamistes (je parle du peuple) algériens si le FFS n’en était pas signataire ? D’abord, sans la participation d’Ait Ahmed, cette réunion aurait-elle eu lieu ? La majorité des Algériens avaient compris de quoi il retournait, sauf les Kabyles. Normal, puisque cette majorité-là justement est de culture politique exclusivement islamiste. Elle parle et comprend parfaitement le langage symbolique de l’islamisme, langage qui est naturellement sien. Cela représente 80% des Algériens ayant voté lors d’un célèbre scrutin réellement propre et honnête ! Les abstentions constituaient autant de consentement et les 20% restants étaient les Kabyles et quelques fainéants lunatiques arabo-musulmans qui espèrent que l’islamisme se construira un État sans avoir besoin de les déranger jusqu’à un bureau de vote.

Après la conclusion du pacte et le célèbre intermède de la chéchia, les militants et les sympathisants islamistes ont poussé un ouf de soulagement, se sentant délivrés du devoir ou de l’obligation d’aller djihader un jour en Kabylie. Désormais, ces kouffars de Kabyles, jusque-là anti-islamistes notoires, ont été livrés « en gros », pieds et poings liés, par leur chef, sans que le moindre barbu n’ait à tirer un seul coup de sabre. Cet épisode a fait passer Ait Ahmed pour l’émir Abdelkader kabyle. Abdelkader, érigé par la France en émir national puis acculé dans sa Tafna, livra l’Algérie « en gros » à l’armée coloniale française. Comme quoi, les arabo-musulmans tirent des leçons de leur propre histoire, même dans ses épisodes les moins glorieux. L’islamisme a vite décodé l’événement Sant’Egidio : désormais, il est permis, voire souhaité par les Kabyles, que ces combattants en gandourah investissent les maquis douillets de Kabylie. Il ne s’est pas fait prier. Aussitôt dit, aussitôt fait, l’islamisme fit rapidement une étude du « marché » et concocta un « produit armé » spécialement adapté au client kabyle : le GSPC. Il s’agissait de montrer que ce produit est haut de gamme, à la mesure du consommateur kabyle qui mérite respect et considération à part. Ceci bien sûr en direction de la Kabylie seulement. Ce produit est particulier : il ne s’attaquera pas aux civils. Sachant que les Kabyles ont en horreur tout ce qui symbolise l’État, ils ne feront pas de chichi quand des membres des forces de l’ordre, des appelés, des commis de l’État se feront descendre. Peu importe qu’ils soient Kabyles. La fonction prime sur l’origine ethnique, sur la fraternité et même sur la célèbre « lanaya kabyle ». Ce concept de « lanaya » dont les Kabyles sont d’habitude si fiers a subitement disparu du champ de valeurs kabyles grâce à la pensée moderne et salvatrice d’Ait Ahmed. Mais la réalité est autre. La vérité bien dissimulée est difficile à débusquer dans ce fatras de pub, de slogans et de croyances populaires carrées.

Les islamistes du GSPC ne peuvent pas en réalité commettre en Kabylie ce que les GIA commettent ailleurs sur les civils. D’abord la confusion sociale et l’anonymat ne peuvent pas s’installer en Kabylie. Chaque citoyen sait qui est qui, qui fait quoi. Ait Ahmed a imposé son « qui-tue-qui » aux Kabyles pour signifier sa neutralité typiquement suisse, comprise comme un encouragement de la part des islamistes. Ensuite, ailleurs, les populations sont déjà islamistes et en majorité bien forcées de soutenir les factions armées sous peine d’apparaître comme dissident de l’islam, voir traîtres ou collaborateurs avec la houkouma. Les tueries de civils sont donc en général des exécutions de traîtres (je ne mets pas de guillemets), d’occidentalisés, de collabos, d’étrangers et des gens qui refusent de coopérer, de fournir des renseignements, qui refusent de payer l’impôt-djihad ou seulement qui ne se montrent pas prompts à approvisionner les « moudjahidines » » » en vivres. Ces exécutions étaient ressenties par les islamistes armés comme légitimes, car après les avoir portés aux nues pendant des années, ces populations les ont subitement lâchés quand il s’agit de défendre son propre choix politique, « le choix du peuple ».

La population vit ces crimes comme une nécessité « révolutionnaire ». « kach ma dar, kach ma gal, il a du faire ou dire quelque chose » dit le petit peuple en apprenant que tel ou tel s’est fait égorger ou exploser la cervelle. Il est hors de question de reproduire ce schéma en Kabylie. S’attaquer aux civils serait une agression extérieure, car la population kabyle n’est pas censée être acquise à l’islamisme. Les islamistes doivent marcher sur des œufs et procéder par la ruse pour rallier la Kabylie.

Si les gens qui les respectent ailleurs, les admirent peuvent les craindre aussi, ceux qui les haïssent se défendraient à la moindre « bavure ». Ils se tiennent à carreau pour des raisons de stratégie et de prudence politique. La Kabylie n’est pas islamiste. Elle l’a bien signifié à chaque scrutin, à travers ses partis politiques, sa société civile, ses intellectuels ou simplement sa culture. Pourtant, après Sant’Egidio, et seulement après, certains Kabyles, idéologiquement proches du FFS, se sont fait le devoir de faire de la propagande islamiste en direction des Kabyles pour leur signifier à demi-mot qu’ils n’ont rien à craindre, le grand Zaim s’étant arrangé pour que les civils restent saufs. Cette propagande a été insidieuse, vicieuse et efficace. En un rien de temps, ses initiateurs ont réussi à rendre les islamistes sympathiques en Kabylie. Il faut le faire !

Le petit peuple, naguère réfractaire à toute forme d’islamisme, qu’il soit armé ou seulement prosélyte, s’est retrouvé subitement soit à faire l’apologie des terroristes islamistes, soit à nier leur présence dans leurs propres murs. Combien de fois n’ai-je pas entendu des simples citoyens vanter la bravoure, l’honnêteté et « la bonne conduite » de leurs squatteurs. Untel a raconté qu’après l’avoir délesté de son camion, le chef islamiste l’a rassuré en lui disant simplement d’aller récupérer son engin à telle place, à telle heure. Le quidam est tout excité de raconter qu’effectivement il a bien retrouvé son camion à l’heure et la place indiquées. Il ne s’est pas posé la question de savoir s’il a été consentant, ni à quelle fin son bien a bien pu servir. Un autre zigoto s’est vanté d’avoir discuté avec un émir qui s’est contenté de son portefeuille et de son passeport sans l’égorger, ni même lui donner une baffe. Un autre m’a relaté le rôle héroïque qu’il a joué dans son village reculé du Djurdjura quand une bande d’islamistes l’a investi un beau matin de printemps. Il a rassuré et calmé les villageois en leur assurant que ces « moudjahidines » sont venus seulement pour s’approvisionner. Il a raconté qu’ils n’étaient pas aussi sauvages que cela et qu’ils se sont contentés de vider les gardes mangers et d’embarquer quelques poules sans même regarder une seule femme. Quels veinards ces villageois ! Ils doivent être fiers de forcer ainsi le respect de ces redoutables tueurs !

De Sant’Egidio, nous n’avons gardé que le souvenir de la chéchia de Djaballah pour railler Scie l’Houcine. Mais lui, il a fait son œuvre mine de rien et nous a niqué jusqu’au trognon. Il nous a chié dessus de loin. Maintenant, les terroristes islamistes font apparaître la Kabylie comme une région alliée. Ils ne s’attaquent pas aux civils pour faire penser que c’est parce que ceux-ci ne sont pas contre eux, ne les dénoncent pas. Ce n’est pas l’envie qui leur manque, mais stratégie oblige. Cette stratégie consiste à discréditer le peuple kabyle dans son ensemble, non de la soumettre individu après individu ou village après village, par la force et la terreur. Cette tâche serait non seulement impossible, mais peut s’avérer dangereuse car les Kabyles ont l’avantage du terrain et ne comptent généralement pas sur les moyens de l’État pour assurer leur propre sécurité. Sachant les Kabyles naïfs et niais dans leur ensemble, les islamistes préfèrent ruser avec eux dans le but de les domestiquer collectivement, à la manière utilisée par les cow-boys de l’ouest américain pour amener un troupeau de chevaux sauvages dans un enclos, à leur insu.

Les terroristes plantent un décor et jouent une comédie qui semble amuser même les Kabyles. Quoi de plus plaisant en effet pour des Kabyles que de voir des gendarmes naguère jouant les Rambo face à des adolescents et à des paysans, tomber sous le feu des islamistes sans avoir le temps de réaliser ce qui leur arrive. Les islamistes, bien entendu, espèrent que le monde entier et l’opinion internationale seront spectateurs.

« Terrorisme en Kabylie : 5 policiers assassinés, 12 gendarmes tués, un convoi de militaires tombe dans une embuscade sanglante ». La lecture de tels titres en occident fera apparaître que les Kabyles ne font pas exception. Ce sont des vulgaires terroristes ou au mieux des complices. Les Kabyles ne parlent pas le langage des islamistes. Les Kabyles ne se sont jamais frottés à d’autres peuples, ni à d’autres cultures, ni à d’autres idéologie. Ils n’ont donc pas les subtilités de langage que possèdent les islamistes. Ces derniers ne luttent pas seulement pour prendre le pouvoir, mais également pour occuper tout le terrain, toute l’actualité et frapper les esprits à l’intérieur du pays et à l’extérieur. De l’extérieur, les Kabyles sont vus comme des alliés tacites des terroristes islamistes, avec lesquels ils n’ont pourtant aucun rapport, ni politique, ni idéologique ni religieux. Les islamistes laissent penser que des accords secrets fructueux ont été passés entre eux et les dirigeants locaux kabyles. Ils laissent aussi penser que les massacres perpétrés ailleurs en Algérie montrent seulement que de tels accords n’ont pu avoir lieu avec ces populations. Ils font croire que ces populations ayant refusé de s’impliquer activement aux cotés des groupes armés, les ayant dénoncés et abandonnés après avoir voté pour eux, elles ont été massacrées par vengeance.

Si aucun massacre n’a jamais eu lieu en Kabylie malgré une forte présence des groupes armés, c’est que le courant passe entre ces groupes et la population. C’est que cette population n’a aucune raison de subir l’ire des islamistes. Pas de dénonciation, pas d’opposition armés, pas de discrédit, collaboration complète, facilités d’approvisionnement, facilité de mouvement… S’ils trouvent refuge en Kabylie, c’est qu’il y a forcément complicité à grande échelle. Voilà la supercherie islamiste ! En réalité, les Kabyles tolèrent les islamistes armés « chez eux » par cupidité politique. Ils pensent que tout phénomène à même d’affaiblir ne serait-ce qu’un tantinet son ennemi juré (le pouvoir) serait le bienvenu. À long terme, cette cupidité leur coûtera cher. Imaginons un titre dans un grand journal occidental : « Attentat terroriste en Kabylie : 7 gendarmes tués, 3 autres blessés ». Un titre pareil suggère que les Kabyles sont terroristes. Du moins que le terrorisme agit impunément en Kabylie.

Les Occidentaux n’ont pas la même perception du gendarme et du policier que les Kabyles. En Occident, un policier, un gendarme, est un serviteur de la loi. Il est du côté des bons et combat les méchants. Il protège le citoyen et maintient la paix. L’opinion publique occidentale, influente auprès de ses dirigeants est encore imprégnée de cette innocence, cette candeur qui la rendent incapable de comprendre la roublardise vicieuse en vogue chez les Kabyles et les islamistes. Pour elle « terrorisme islamiste en Kabylie » ne signifie rien d’autre que « les Kabyles sont des terroristes islamistes ». Malheureusement, il y a de fortes chances que cette manière simpliste de penser ne reflète qu’une réalité que les Kabyles n’ont pas vue s’installer insidieusement. En fait, quelles que soient les arrières pensées et le réel fond politique et culturel d’un peuple, il n’est jaugé qu’à l’aune des événements visibles qui se passent chez lui. L’ère de l’opposition au régime dans le but de le faire tomber par tous les moyens devrait être dépassée par les Kabyles depuis que les islamistes ont le même objectif.

L’islamisme étant beaucoup plus fort et mieux soutenu par le peuple, les Kabyles (démocrates ou autres) seraient automatiquement assimilés à des alliés des islamistes. D’ailleurs logiquement, si l’objectif est seulement la chute du régime, ils n’ont pas d’autre choix que de s’allier secrètement ou au grand jour avec l’islamisme. C’est ce qui est arrivé au FFS avant qu’il ne s’en rende compte et avoue au grand jour sa convergence avec le FIS à travers le contrat de Sant’Egidio. Les islamistes de leurs coté ont vite compris la nature des luttes kabyles. Ils savent que la Kabylie n’est pas et ne serait peut-être jamais acquise aux thèses intégristes. C’est une région parfaitement bien quadrillée du point de vue idéologique par un ethnicisme, un modernisme (pas la modernité encore) et un rejet de l’arabisme visible en Kabylie.

Connaissant la naïveté légendaire des Kabyles, les islamistes ont concocté un plan de manière à faire tomber cette région dans un piège mortel. Ne pouvant pas attaquer cette région de front pour la soumettre à leur dictat comme cela a été désormais fait partout en Algérie, l’islamisme a décidé de faire de la Kabylie une alliée malgré elle. Il s’agit de la faire apparaître comme une région complice de l’islamisme, voire bienveillante envers les groupes armés. Pour cela, il suffit de ne pas s’en prendre aux populations civiles, même si l’envie de le faire démange ces assoiffés de sang. L’équation est simple. La Kabylie est foncièrement contre le régime. Les islamistes armés sont les ennemis jurés du régime. Les islamistes armés activent en Kabylie. On n’a jamais entendu parler de l’élimination d’un groupe islamiste suite à une dénonciation des citoyens. Donc les Kabyles sont massivement complices des islamistes armés. La conclusion est facile à tirer. Que cette conclusion soit vraie ou fausse, peu importe. L’essentiel est de forcer la logique à y arriver.

Il y a quelques jours, un collègue, pourtant instruit, politisé et cultivé, ayant parcouru brièvement la presse algérienne est tombée sur un titre du genre : « Terrorisme : 2 policiers ont été assassiné en Kabylie ». Même en lisant l’article, il ne retient que les mots clés fortement artificiellement liés : Kabylie, terrorisme, islamisme. Dieu sait ce qu’évoque le mot « terrorisme » aux yeux de l’opinion publique internationale, notamment occidentale. Un titre pareil suggère que les Kabyles, habitants de la Kabylie, sont terroristes. Le titre n’indique pas que les Kabyles sont réputés être démocrates et anti-islamistes. Et même s’il l’indiquait, cela suggérerait tout simplement que les Kabyles sont devenus aussi des terroristes islamistes. Le régime a tout intérêt à ce que tout le terrorisme islamiste se concentre en Kabylie. Cela discréditerait la Kabylie aux yeux de l’opinion internationale, légitimerait la répression contre les Kabyles et justifierait sa reconduction éternelle comme rempart contre le terrorisme islamiste, qu’il a intérêt à nourrir pour justement que sa propre reconduction demeure un éternel recommencement.

Il m’est arrivé ces dernières années de questionner les Kabyles résidant en Kabylie sur les sentiments des gens concernant la présence des islamistes armés dans leur région. Les réponses sont parfois imprécises, vaguement justificatives de leurs positions illogiques. Selon eux, cela se passe entre le pouvoir et les islamistes. Mais ils n’expliquent pas pourquoi les Kabyles acceptent que pouvoir et islamistes viennent se canarder chez eux et fassent de leur région un théâtre d’opérations et un champ de bataille, alors que les Kabyles sont étrangers à ce conflit. Ils répondent que ce n’est pas aux Kabyles de combattre l’islamisme. Mais personne ne demande aux Kabyles de combattre l’islamisme en général. Je veux juste comprendre pourquoi on tolère les islamistes armés en Kabylie. Il suffirait de dire, par la voix des personnes et des organisations légitimes : « Allez donc vous étriper ailleurs ! Nous n’avons rien à voir ni avec le pouvoir, ni avec l’intégrisme islamiste ».

Ariless, 2005

Merci de respecter notre travail.