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Le choix de Thanina de Rénia Aouadène

Le choix de Thanina est un roman policier. Néanmoins, Rénia Aouadène prend le prétexte d’une intrigue policière pour décrire sans complaisance les traumatismes de la décennie noire. Ce roman féministe sans concession met en lumière le vécu des femmes algériennes durant cet épisode tragique. Thanina, une commissaire est chargée d’élucider un meurtre. L’enquête impliquera des déplacements entre Béjaïa et Marseille, lieux bien connus de l’autrice.

Catherine Belkhodja : Y a-t-il de nombreuses femmes commissaires en Algérie ?

Rénia Aouadène : À ma connaissance, Il n’y a à ce jour qu’une femme commissaire divisionnaire en Algérie. Mais le sujet se voulait très provocateur. J’avais choisi mon sujet, en réponse à une personne qui, lors d’une conférence donnée à Aokas, me demandait quel serait le sujet de mon prochain livre. J’avais répondu spontanément « une femme commissaire nommée entre Boukhelifa et Aokas ». C’était aussi une façon de rendre hommage à ma région, connue pour ses rencontres et échanges artistiques.

C. B. : Le personnage de la commissaire est d’une force extraordinaire. Beaucoup de femmes algériennes ayant des métiers d’hommes rencontrent les mêmes problèmes pour fonder une famille. Penses-tu que cela s’améliorera un jour ?

R. A. : Thanina est un personnage que je voulais provocateur surtout qu’à l’époque de mon projet j’imaginais que c’était impossible qu’une femme se trouve à ce poste. Je la voulais belle, sensible et à la fois puissante comme pour dire aux hommes qu’une société où les femmes sont exclues des places de pouvoir ne pouvaient progresser vers une société plus juste.
Les femmes algériennes que je rencontre et qui sont devenues des amies, sont des femmes militantes et de combats. Aujourd’hui les femmes se libèrent d’une société patriarcale et choisissent de ne pas se marier ou de quitter le pays pour aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Et surtout le hirak a changé les mentalités y compris dans les villages où les femmes de toutes générations sont descendues dans la rue. On ne peut reculer car ces enfants qui ont manifesté très jeunes, ont baigné dans ces ambiances et les mots et les cris de révolte se sont imprégnés dans leur être.

C. B. :Les descriptions des années de terreur sont d’une violence inouïe. Comment as-tu réussi à écrire ces passages si difficiles ?

R. A. : Je crois que j’ai besoin de me mettre dans une espèce de catharsis pour expurger cette douleur que je porte, qui a fait ma force tout au long de ma vie. Je peux dire l’horreur, pleurer en écrivant, tout en sachant que cela a pour effet de m’épuiser mais c’est un besoin vital. Ne dit-on pas de moi que je suis une guerrière ?

C. B. :Penses-tu que la situation en Algérie est plus acceptable maintenant que durant ces années si violentes ?

R. A. : La situation actuelle est scandaleuse car suite au Hirak, de nombreuses arrestations ont eu lieu en Algérie et des acteurs de la société culturelle se sont retrouvés en prison. J’espère que le pouvoir va se calmer et permettre aux associations de revenir sur le terrain afin de faire leur travail auprès de ce peuple qui ne demande qu’à vivre.

C. B. : T’es-tu inspirée d’histoires vécues ?

R. A. : Je me suis inspirée d’histoires vécues que j’ai adaptées et il y a une grande part de vérités dans ces histoires de femmes pour qui je témoigne en tant que femme écrivaine, puisqu’en Algérie le taux de féminicide ne cesse d’augmenter et la violence faite aux femmes n’est pas près de disparaitre avec un code de la famille qui continue à les considérer comme mineure à vie. Et pourtant elles occupent des postes de magistrats, d’avocates de chefs d’entreprises, d’enseignantes… !

C. B. : Il y a des passages très éprouvants sur l’hôpital psychiatrique .Quels sont les liens avec la réalité ?

R. A. : D’abord ce n’est pas de moi « l’Algérie est un hôpital psychiatrique à ciel ouvert ». Et ce n’est pas les logorrhées des pouvoirs en place sur la guerre de libération ni la concorde civile qui ont permis au peuple algérien de faire un deuil de ses souffrances et traumatismes de l’époque coloniale et des années de dictature. Il y a, en Algérie, d’après les témoignages de mes amis et familles, de nombreux jeunes issus de ces années noires devenus schizophrènes et un taux de suicides inégalés notamment dans la wilaya de Bejaia. Il n’y a évidemment pas que les conséquences de la guerre civile mais aussi cette absence de rêves et de projets, dont tout jeune a besoin pour se développer dans un pays « libre ». On ne choisit pas de devenir harraga ! un acte suicidaire quand ces jeunes qui fuient sur des pateras savent que la mort peut être au rendez-vous dans cette Méditerranée devenue leur lieu de sépulture.

C. B. : As-tu déjà l’idée de ton prochain roman ?

R. A. : Pour tout te dire, chaque fois que je témoigne de mon histoire, le public me réclame de l’écrire. Il est peut-être temps ! je ne sais toujours pas.

C. B. : As-tu envie d’assurer la promotion de ton roman en Algérie ?

R. A. : J’ai fait des rencontres et participé au Sila mais mes obligations de professeure ne me permettaient pas de répondre à toutes les invitations. Comme je suis devenue une femme libre professionnellement, je vais enfin pouvoir répondre à toutes les invitations !

C. B. : Envisagerais-tu une adaptation cinématographique de ton livre ?

R. A. : J’avoue que l’adaptation au cinéma me séduirait beaucoup. Le livre vient de sortir. La suite, ya veremos !

Propos recueillis par Catherine Belkhodja, octobre 2022.

Le Choix De Thanina, de Rénia Aouadène – Édition Mars-A -ISBN 979-10-92448-54-2
15 euros

De la même autrice :
Destinées, nouvelles, Marsa 2005
Le cri de Sebayat, théâtre, Marsa 2006

Nedjma et Guillaume, roman, Marsa 2008

Un Maure dans la sierra, roman, Marsa 2016

À lire l’interview Rénia Aouadène, écrivaine et poétesse

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