Interview

Rénia Aouadène, écrivaine et poétesse

Elle vient de publier Le choix de Thanina aux éditions MARS-A

Catherine Belkhodja l’a rencontrée au Salon du livre des Éditeurs Indépendants et a découvert une personnalité très engagée.

Catherine Belkhodja : D’où vient ton intérêt pour l’écriture ?

Rénia Aouadène : J’ai toujours aimé la poésie. À l’école, mes professeurs appréciaient ma voix et me faisaient lire à haute voix de nombreux textes, dont la poésie en particulier. Par la suite, j’ai commencé à écrire de la poésie, puis des nouvelles et des articles, avant de me lancer dans le roman.

C. B. : Te souviens-tu de tes premières publications ?

R. A. : J’ai eu la chance de rencontrer Marie Virolle, dans un salon du livre à Antibes, où je rejoignais une amie de Venise. Nous avions parlé de l’Algérie et de la publication de mes poèmes. Ensuite, tout s’est enchaîné. J’ai été invitée par l’université de Monpellier à participer à une rencontre sur la nouvelle poésie algérienne. J’ai proposé une lecture, accompagnée par un guitariste. J’ai participé par la suite à plusieurs concours de poésie, suivis de publications, avant de publier également des nouvelles dans la revue A, Littérature-Action. J’ai publié ensuite ma première pièce de théâtre et quelques articles, ainsi qu’un roman.

C. B. : Avais tu envie aussi de te faire publier en Algérie ?

R. A. : Mon vœu le plus cher était de partager mes écrits en Algérie. Cela représentait un véritable défi de faire connaître mon histoire familiale dans un contexte où il est encore tabou de parler des règlements de compte FLN-MNA en France, dont mon père avait été victime en tant que militant nationaliste. Dire ma douleur et parler de cette guerre fratricide a particulièrement touché ces lecteurs et a créé un lien très fort avec ma région d’origine.

C. B. : Tes publications ont-elles été bien accueillies en Algérie ?

R. A. : Je suis devenue pour eux un personnage simple et attachant, qu’ils n’hésitent pas à inviter lors de rencontres littéraires. C’est d’ailleurs dans ces villages de Kabylie que j’ai rencontré des hommes et des femmes très engagés dans les combats pour la démocratie et la culture berbère. Ce réseau me tient très à cœur et j’espère qu’il perdurera bien après les années COVID et l’interdiction du Hirak. Je souhaite vivement qu’il renaisse de ses cendres.

C. B. : Comment en es-tu arrivée à t’intéresser à la guerre d’Espagne ?

R. A. : Après des interventions poétiques, des interventions comme conteuse et des participations comme intervenante lors des hommages multiples à des écrivains algériens, j’ai publié en Algérie un roman sur la participation à la guerre d’Espagne, aux côtés des Républicains, d’hommes venus du Maghreb ou du Moyen-Orient. C’était la première fois qu’on abordait ce sujet et le livre a eu beaucoup de succès. Depuis, de nombreux articles ont traité ce sujet en France ou en Espagne. Il n’a pas été si facile pour moi de me faire éditer alors que j’étais cataloguée « écrivaine franco-maghrébine » et que je vivais très éloignée du monde parisien.

Un Maure dans la sierra, publié en Algérie a déclenché de nombreuses participations à des cafés littéraires, particulièrement en Kabylie, où les désirs de culture foisonnent.

C. B. : Quelles relations entretiens-tu avec la France, l’Algérie et l’Espagne ?

R. A. : Ce sont mes trois pays de cœur. J’ai grandi en effet au milieu des réfugiés espagnols et italiens et l’espagnol est devenu presque une de mes langues maternelles ! J’ai vécu à Cordoue, Grenade, et suis viscéralement attachée à l’Andalousie, qui m’a construite au moment où j’étais dans une recherche d’identité. J’y retourne régulièrement avec l’impression de « rentrer à la maison ». Je suis d’ailleurs naturellement devenue professeure d’espagnol.

Dans mon village en Algérie, je suis devenue thaboulaoud. En effet depuis 40 ans, je n’ai cessé de retrouver régulièrement ma famille pour recueillir et conserver les témoignages sur l’histoire de notre région.

Les habitants disent de moi que je suis devenue « leur mémoire », alors que je vis de l’autre côté de la Rive. J’ai écouté les Anciens, recueilli les secrets des femmes… En France, comme en Algérie, mes lecteurs sont persuadés que je suis née en Algérie…

C.B. : As-tu pu facilement concilier ta vie familiale et l’écriture ?

R. A. : J’entretiens un vrai lien de complicité avec mon fils. Ce n’était pas évident à l’époque, d’élever seule un garçon et de ne pas devenir une mère castratrice quand on a une personnalité aussi écrasante que la mienne (rires) Je préfère ne pas évoquer l’histoire familiale, ponctuée de multiples deuils.

C. B. : Je crois avoir que tu as mené à bien aussi des activités de formatrice dans le domaine de l’Insertion ?

R. A. : Dans le cadre de la formation professionnelle, j’ai participé en effet à de nombreux programmes d’insertion dans les quartiers Nord de Marseille, puis comme professeure de lettres ou d’espagnol.

C. B. : Dans ton dernier roman, Le choix de Thanina, publié chez Mars-A, tu évoques les années noires. Te sens tu particulièrement impliquée par cette période historique ?

R. A. : Les années noires ont beaucoup inspirée mon écriture. Ces années réveillaient en moi la douleur d’avoir perdu mon père, lui aussi assassiné, alors que je n’avais que 6 mois. Ma mère se retrouvait veuve à 24 ans, avec 4 enfants. J’ai longtemps porté ce deuil et cette colère. À l’heure actuelle, je manifeste toujours contre les injustices. J’ai participé au hirak à Bejaia et j’ai entendu les cris de ces manifestants qui traduisaient la révolte afin que la démocratie s’installe et permette un dialogue entre générations.

Propos recueillis par Catherine Belkhodja en octobre 2022.

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