Chronique

Lutte contre le terrorisme ? Mais quel terrorisme ?

Comment lutter contre le terrorisme ? Qu’est-ce d’abord que LE terrorisme ? S’agit-il d’un simple délit de droit commun dont il faut arrêter les auteurs pour les juger ? Qui sont alors les auteurs ? Sont-ce les islamikazes qui ont déposé les bombes et qui ont été soufflés avec leurs victimes ? Sont-ce ceux qui ont monté et minuté les bombes ? Ou ceux qui ont clandestinement vendu les explosifs, les détonateurs et l’électronique ? Ou bien encore ceux qui ont ordonné ces actes terroristes ? Ceux qui les ont financés ? voire ceux qui les ont applaudis ?

Chirac ou Blair répondront que c’est tout ce joli monde à la fois. Mais tout ce joli monde est renouvelable à volonté. Pour ne pas faire apparaître la lutte antiterroriste comme ardue et quasi impossible, les dirigeants occidentaux décident d’ignorer ceux qui financent le terrorisme islamique, ceux qui recrutent, ceux qui l’organisent et ceux qui les applaudissent. Cela réduit le nombre de coupables au nombre d’islamikazes. Comme ces islamikazes sont, par définition, morts dans leurs attentats, je ne vois pas de quoi se plaignent Bush, Blair et les autres. Bien entendu, pour eux, l’idéal est d’éliminer Bin Laden. C’est lui, parait-il, le seul instigateur et comploteur en chef contre l’Occident. Il a une organisation tentaculaire appelée El Qaeda, constituée de cellules cloisonnées et organisée en pyramide. Banale, mais redoutable organisation terroriste. Il suffirait de tarir ses sources de financement, de geler ses avoirs partout et de la décapiter pour lui donner le coup de grâce. C’est du moins ce que font croire les dirigeants occidentaux à leurs populations. Toute cette hypocrisie grossière pour ne pas prononcer un seul de tous les mots qui comportent la racine « Islam ».

D’après M. Bush, ce qui motive “les terroristes”, c’est seulement leur haine gratuite de l’Amérique et de l’Occident en général. Cinq ou vingt personnes se rencontrent par hasard autour d’un verre, discutent amicalement et découvrent, toujours par hasard, qu’ils haïssent tous l’Amérique. Ils décident alors de constituer une cellule terroriste et de déposer des bombes ou de commettre des attentats suicides Ils téléphonent à Oussama, s’engagent dans El Qaeda, organisation dont le nom n’évoque rien, si ce n’est son présumé chef. Ils reçoivent un budget pour acheter des explosifs et s’en vont se faire exploser dans des lieux publics. Pour Blair, Bush, Chirac et autres Occidentaux, le problème est d’arrêter ces méchants avant qu’ils ne s’explosent. Il faut donc les prendre en flagrant délit de possession d’explosifs pour les reconnaître coupables de tentative de meurtre.

Je me rappelle cette réponse donnée par Leïla Shahid, représentant l’Autorité palestinienne en France, à un célèbre journaliste canadien. Il lui demanda pourquoi l’Autorité palestinienne n’arrête pas les Palestiniens qui commettent des attentats contre les civils israéliens. En bonne diplomate cynique, Leïla répondit : « Comment voulez-vous arrêter des cadavres déchiquetés ? »

Notre célèbre journaliste a beau avoir une immense notoriété, elle ne lui a pas permis de lui préciser : « Je veux dire stopper le Hamas, le Djihad islamique et le Hezbollah, idiote !!! ». Faut dire qu’il n’est pas politically correct de heurter ces pauvres palestiniens opprimés, innocentes victimes qui ne luttent que pour leur liberté, avec les moyens qu’ils ont !!

À entendre les dirigeants occidentaux, le terrorisme actuel est tout à fait gratuit, sans but précis, sans foi ni loi, sans objectif particulier, froid, bête, pas du tout pensé, même pas voulu. Il peut arriver aléatoirement à n’importe qui, à n’importe quel moment. Comme une tuile qui vous tomberait sur la tête alors que vous vous promenez au bord d’un lac paisible. Tant que les discours officiels n’identifient pas expressément la nature de ce terrorisme, la lutte anti-terroriste risque d’être éternelle. Tant que ce qui inspire ces actes demeure intouchable, il n’y aura pas de lutte antiterroriste efficace. On constate que le terrorisme est aujourd’hui islamiste. Peut-être avait-il eu à une époque une autre obédience. Peut-être aura-il à l’avenir des causes encore inconnues de nos jours. Mais aujourd’hui, pratiquement dans le monde entier, le terrorisme est inspiré par l’islam. Il est de ce fait islamique.

Jusqu’à la fin des années 80, tous les totalitarismes, tous les groupes et groupuscules terroristes avaient d’abord été identifiés et nommés avant que ne leur soit mené un combat sans merci. Tel totalitarisme était nazi, tel autre fasciste, tel autre communiste (ou à la rigueur stalinien), tel groupe terroriste était d’extrême gauche, tel autre d’extrême droite, tel autre anarchiste… enfin, peu importe que tel ou tel groupe soit plus ou moins légitimé ou unanimement dénoncé, il était avant tout et d’abord identifié et nommé. J’avais déjà l’âge de raison quand ces phénomènes sévissaient et je n’entendais jamais les médias parler de « terrorisme » tout court. On rappelait presque toujours l’obédience des terroristes et personne n’y trouvait à redire. Avait-on alors peur de froisser les (très) nombreux communistes et les socialistes européens en identifiant tel groupe terroriste comme étant de gauche ? Avait-on cherché à ménager les Européens de droite en taisant l’obédience des groupes terroristes d’extrême droite ? Ne rappelait-on pas au besoin l’appartenance religieuse catholique des membres de l’IRA ? Ne précise-t-on pas aujourd’hui la nature basque des poseurs de bombes de l’ETA ? Ne parle-t-on pas d’indépendantistes corses ? Et ailleurs, les Khmers ne sont-ils pas « rouges » ? Le Sentier Lumineux n’est-il pas d’inspiration maoïste ?

Mais alors, pourquoi le terrorisme islamiste devient-il dans la bouche des dirigeants occidentaux du « terrorisme tout court » ? Du terrorisme nu, sans contours voire même sans réalité si ce n’est cette odeur de chair brûlée, le sang qui se répand, ces tas de ferraille et ces amoncellements de gravas qu’on s’empresse de nettoyer comme pour effacer toute trace qui montrerait avec insistance cette réalité flagrante qu’on essaie désespérément de nous cacher.

Je comprenais cette démarche de la part des dirigeants musulmans des pays musulmans, peuplés par des musulmans. Bizarrement, quand les islamistes algériens égorgeaient à la chaîne en revendiquant leurs forfaits, je comprenais le président algérien de l’époque quand il parlait de terrorisme sans ajouter aucun qualificatif. Je ne m’attendais pas à des miracles de la part des responsables musulmans. Pour qu’ils s’engagent dans le chemin de l’honnêteté et de la Vérité, il faudrait d’abord qu’ils apostasient, donc qu’ils acceptent de jouer leur vie, car en précisant que le terrorisme est islamiste, ils n’auraient pas seulement les terroristes sur le dos, mais bien toute leurs populations. Je comprends bien les présidents Bouteflika, Moubarak, le roi Mohammed VI, le roi Abdallah, le prince héritier d’Arabie Saoumaudite, Yasser Arafat et Mahmoud Abbas. Je comprends, car je suppose aussi que personne n’admettrait appartenir à la même famille que les brigands, les assassins, les terroristes, les lapidateurs, les lyncheurs, les oppresseurs, les agresseurs. Non seulement ces sinistres personnes sont nombreuses, mais la population semble leur trouver des excuses et même leur reconnaître une certaine légitimité. Cette famille est une famille religieuse dont l’une des règles et de ne jamais excommunier (bannir) un ou des membres sous quelque prétexte que ce soit. D’autant plus que dans le cas de « la famille islam », il est extrêmement difficile de trouver un motif théologique ou législatif islamique avec lequel condamner, ou même dénoncer, ces gens qu’on appelle « terroristes » tout court. Je comprends donc tous ces présidents mal élus et tous ces roitelets de pacotille.

Mais je ne comprends ni Bush, ni Chirac, ni Blair, ni Schröder, ni Berlusconi, ni le premier ministre des Belges (je m’excuse auprès des Belges si je ne retiens pas le nom de leur premier ministre). Quelle famille protègent-ils donc ? La leur ou celle qui produit des terroristes à la pelle ? Pourquoi doit-on à tout prix dédouaner les pays musulmans ? Ma raison est à l’aise quand je vois des personnages dans leur rôle. Beau rôle ou mauvais rôle, peu importe, mais les normes et les règles que le système social nous a profondément enfoncé dans le crâne doivent toujours rester sauves, même si cela dérange parfois un tantinet certains intérêts. Qui regarderait un film où Zorro détrousserait les pauvres paysans ? Qui regarderait un film ou Dracula ferait des dons de sang pour sauver des enfants accidentés, sous les applaudissements des figurants ? Qui écouterait Schwarzenegger chanter une chanson de Vanessa Paradis ? Qui croirait Sharon s’il déclarait que les hamassistes et les djihadistes palestiniens sont de simples sportifs dont la performance consiste à se faire sauter le plus haut possible en emportant les spectateurs qui, par hasard, se trouvent être des Israéliens ? Alors, y a-t-il vraiment des gens, sensés ou insensés, qui écoutent Bush, Chirac, Blair, Schröder, Berlusconi quand ils affirment que le terrorisme qui frappe en Occident n’a rien à voir avec l’islam ? J’en doute fort !

Les citoyens européens font généralement confiance à leurs dirigeants pour gérer ce genre de conflits. La patience est une qualité admirable des sociétés occidentales. On se dit que les responsables ont toujours de bonnes raisons d’adopter une démarche qui est en apparence irrationnelle et infructueuse pour le moment. L’une des premières raisons est le souci de protéger les citoyens musulmans européens intégrés et pacifiques. Ils sont donc à protéger en priorité, avant les ressortissants européens. Désigner l’islam comme premier responsable du terrorisme islamique c’est, croit-on, désigner tous les musulmans d’Occident à la vindicte populaire et encourager les pogroms et les descentes punitives contre la communauté musulmane. Ces actes seraient bien entendu l’œuvre d’extrémistes nationalistes de droite ou d’extrémistes chrétiens. De tels événements, s’ils se produisaient, joueraient en faveur des islamistes. En effet, la communauté musulmane une fois réellement victime et stigmatisée se jetterait sans hésiter dans les bras des islamistes, seuls capables de laver l’affront et de sauver leur honneur. Donc l’attitude des dirigeants européens n’est pas l’attitude niaiseuse des ignorants, des pleutres et des couards. Encore moins celle des collabos islamophiles. Leur approche est bien – en apparence – louable et elle participe au maintien de la paix sociale et de la quiétude nationale. Mais il ne faut pas en faire trop, au point de rassurer même les extrémistes islamistes et de les encourager à multiplier les actes de terrorisme. À mon avis, la démarche actuelle des dirigeants européens fera augmenter également le terrorisme islamiste car elle les empêche de réaliser un de leurs objectif : celui d’isoler totalement les musulmans d’Europe des Européens de souche. Les islamistes se cherchent un troupeau, consentant ou non, à prendre en otage pour pouvoir ensuite parler et agir en son nom et l’utiliser comme moyen de pression sur les gouvernements occidentaux. Les actes terroristes ne sont donc pas gratuits et n’ont pas pour but de terroriser seulement les populations européennes. Il ne faut pas croire que le terrorisme représente le véritable moyen de pression des islamistes. Ce n’est qu’un outil pour se doter de ce moyen. D’un côté, les terroristes islamistes cherchent à isoler les Européens de souche des musulmans issus de l’immigration. De l’autre côté, les islamistes BCBG organisés en associations légales, agissant à visage découvert et en concert avec les institutions européennes, cherchent à isoler la communauté musulmane des sociétés européennes. À chacun sa mission et aucun ne piétine les plates-bandes de l’autre. S’il n’y avait pas une forte communauté musulmane en Europe, celle-ci ne serait pas devenue un théâtre d’opérations et de propagande. Les dirigeants européens semblent se rendre compte de la situation. Ils essaient de neutraliser les terroristes islamistes, vu d’abord la nature de leurs actes et ensuite parce que ces terroristes ont atteint un degré de « déconnexion sociale » qui les rend irrécupérables. Dans certains pays, comme l’Algérie, on pense que ces « rebelles » ne sont pas suffisamment déconnectés de la société et peuvent de ce fait être encore récupérés. D’où la loi sur la rahma (miséricorde), la loi sur la concorde civile et la loi sur la réconciliation nationale et l’amnistie générale.

En Europe, le terrorisme d’une manière générale est aisément condamnable par tous. Il se trouverait même des musulmans pour condamner les actes terroristes du moment que ceux-ci ne sont pas qualifiés d’islamistes. Le musulman le plus modéré et le moins pratiquant n’accepterait pas de qualifier le terrorisme d’aujourd’hui de « terrorisme islamiste ». La racine « islam » ne doit en aucun cas être associée, de près ou de loin au terrorisme, quitte à pratiquer un terrorisme intellectuel pour que cela demeure ainsi. Naturellement, si la grande masse des musulmans tranquilles refuse d’associer le terrorisme à l’islam, les dirigeants européens pensent qu’ils n’ont pas, non plus, une raison de le faire. La question qu’il faudrait se poser est de savoir si ces musulmans tranquilles connaissent suffisamment bien leur religion pour affirmer que l’islam est étranger au terrorisme. En effet, dans ce cas de figure, la question de savoir si l’islam secrète en lui-même le terrorisme ou ne le secrète pas n’est pas une question d’opinion. Ce n’est plus l’avis de la majorité qui compte, mais bien la réalité des textes, la réalité du discours et la réalité du terrain. Si une majorité de personnes pensent que croquer du cyanure est inoffensif, nous n’allons tout de même pas respecter cet avis et nous mettre à servir du cyanure à volonté à nos enfants, et ce, seulement pour ne pas froisser cette majorité de « bien-pensants ». De toute façon, les musulmans qui se disent modérés et tranquilles ne sont pas dans une position où ils jouissent d’une liberté de pensée suffisante pour se targuer d’être neutres et objectifs. Pour cela, il aurait fallu que l’islam leur reconnaisse la liberté de pensée et la liberté de conscience. Leur discours rassurant ne peut donc en réalité tromper personne.

Comme nous le voyons, certains arguments plaident en faveur de la position actuelle des dirigeants européens et d’autres plaident contre.

Arilès – Montréal, août 2005

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