Politique

Officiels du FLN de la tendance arabisante

Le retour des « barbe-FLN » (1979-1984)

Les Algériens nomment « barbe-FLN » les officiels du FLN de la tendance arabisante, réticente vis-à-vis de la révolution agraire, qui se rapprochèrent du courant islamiste montant[1], en espérant bénéficier de son dynamisme tout en conservant les avantages de leur position au sein du parti. C’est parmi eux que se comptaient les partisans les plus acharnés de l’arabisation à tout prix et de l’instauration d’une société islamique.

Le colonel Chadli Bendjedid, mis en place par ses pairs à la tête de l’État, pratique une politique habile qui tend à consolider son pouvoir personnel. La corruption qui éclate sous son régime, la montée de l’islamisme et, à partir de 1986, la chute des prix du pétrole, affaiblissent sa position et le conduisent à pactiser avec les islamistes et à les utiliser pour conserver son pouvoir sans la hiérarchie militaire.

Les conditions difficiles de son accession à la présidence redonnent du pouvoir au comité central du FLN. Dans le gouvernement constitué en mars 1979, le ministre de l’Éducation est Mohamed Kharroubi, celui de l’Enseignement supérieur Abdelhaq Bererhi : le premier est l’instrument des partisans de l’arabisation, le second n’est plus à même d’en protéger l’enseignement supérieur. Au FLN, la présidence de la Commission de l’éducation, de la formation et de la culture, d’abord assurée par Benhamouda, revient en janvier 1980 à Taleb Ibrahimi : dès février, celui-ci annonce un plan national d’arabisation de l’administration, du secteur économique et de la recherche scientifique[2].

La pression sur l’arabisation avait été relancée dès novembre 1979 par la grève des étudiants arabisants : ceux-ci, ne trouvant pas d’emploi au terme de leurs études, exigeaient l’application immédiate de l’arabisation de l’administration[3]. La grève se termine en 1980, avec la notification des décisions du comité central préparant une relance de l’arabisation[4]. Cette grève coïncide avec des émeutes en Kabylie, provoquées par l’interdiction d’une conférence de Mouloud Mammeri à Tizi-Ouzou sur la poésie kabyle[5] : d’importantes manifestations, suivies de répression, ont lieu en faveur de la langue et de la culture berbères.

Le 14 septembre 1980 est pris un arrêté « portant arabisation de la lre année des sciences sociales, politiques, juridiques et économiques » applicable dès cette année. Une assemblée générale des enseignants francisants demande un report de la rentrée universitaire. Durant l’été, le FLN a poursuivi sa réorganisation en cinq commissions permanentes : l’une est « Information, culture et formation » : le président en est Abdelhamid Mehri. En décembre, le comité central fait obligation aux cadres des organisations de masse et des assemblées élues d’adhérer au FLN à partir du 1er janvier 1981 (c’est le fameux article 120, qui consacre la mainmise du parti sur la société). Le même mois est installé un Haut Conseil de la langue nationale, chargé du suivi et du contrôle de l’arabisation[6]. L’agitation du parti autour de cette question se poursuit durant toute l’année 1982, sur fond d’affrontements dans les universités, provoqués par des étudiants islamistes ou berbéristes.

À la rentrée de 1981 commence la mise en place de l’enseignement du calcul en arabe. Est programmée l’arabisation progressive de tous les enseignements mathématiques, pour arriver à une arabisation totale du baccalauréat au terme de l’année 1989-1990. Le français n’est plus langue d’apprentissage pour aucune matière autre que le français lui-même.

Le mouvement qui porte l’arabisation parvient le 22 mai 1984 à faire adopter par l’Assemblée nationale un code de la famille[7] qui, par son contenu traditionaliste, révèle l’alliance des « barbe-FLN » et du courant islamiste. Durant ce même mois de mai, l’action d’Abdelhamid Mehri trouve son couronnement : il est nommé ambassadeur à Paris. Cette nomination l’éloigne d’un terrain où il ne reste plus guère de secteurs ouvrables à l’arabisation.

À suivre
Grandguillaume Gilbert, enseignant honoraire à l’EHESS. Ancien responsable de la coopération culturelle à l’ambassade de France à Alger.

[1] Le signe symbolique en est le port de la barbe.
[2] Pour les rapports des membres de cette Commission, voir El-Moudjahid, 26 février 1980.
[3] Le 19 janvier, le président Chadli Bendjedid leur adresse un sévère avertissement : Le Monde, 18 janvier 1980.
[4] Cf. G. Grandguillaume, « Relance de l’arabisation en Algérie ? » Maghreb-Machrek, n° 88, 1980, p. 51-63.
[5] Le Monde, 19 mars 1980.
[6] Ce HCLN présente des rapports aux sessions du comité central du FLN. L’un de ceux-ci est publié dans El-Moudjahid du 27 décembre 1981. Un autre El-Moudjahid du 31 juillet 1988) fixe à l’an 2000 l’échéance de l’arabisation totale.
[7] Code de la famille, Alger, OPU, 1984. Voir aussi Noureddine Saadi, La femme et la loi en Algérie, Alger, Bouchène, 1991.

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