Interview

Accusé de plagiat : Ce que Khadra doit à Dris

Algérie News : Vous avez, Youcef Dris, une manière assez singulière d’écrire. Est-ce le fait que vous étiez d’abord journaliste à El Moudjahid ?

Youcef Dris : C’est sans doute vrai, mais du fait que cette histoire s’est passée dans ma famille, le compte-rendu du texte est plutôt très proche de la réalité. D’où peut-être cette simplicité dans le style narratif.

Votre roman fait défiler à grande vitesse des événements importants dont leur développement aurait pu donner plus de volume à votre roman. Pourquoi avoir alors eu ce recours à juste les effleurer ?

L’histoire en elle-même était entourée de tabous vu le contexte, l’époque et la différence sociale entre les deux familles en « conflit ». Les personnes impliquées souhaitaient pour des raisons différentes taire ces « fâcheux événements », et surtout éviter qu’elles ne soient rendues publiques. C’était un exercice fastidieux et délicat que de raconter l’histoire d’un amour défendu en ménageant les susceptibilités, d’autant plus que lorsque j’ai entrepris d’écrire ce roman, certaines personnes de mon entourage (impliquées directement ou indirectement) étaient encore en vie.

Pourquoi avoir choisi presque sciemment d’occulter l’incidence de la période 1954-1962 sur la vie de Dahmane ? Est-ce parce que sa vie amoureuse se termine au milieu des années quarante du siècle dernier ?

Le but de cet « exercice » était d’écrire une histoire d’amour impossible entre deux jeunes de différentes origines dans un contexte « d’apartheid » qui ne disait pas son nom. Deux jeunes amoureux qui avaient osé défier les convenances, sachant que cela allait les exposer aux pires sanctions, particulièrement pour le jeune arabe. Donc le sujet traité était bien défini au départ.

L’histoire de votre roman, en dehors qu’elle soit vraie, est très bouleversante par moments. N’avez-vous pas pu trouver un moyen de la porter éventuellement à l’écran ?

En effet, lorsque le livre avait paru, beaucoup de lecteurs m’avaient suggéré de porter l’histoire à l’écran. N’étant pas scénariste, je n’avais pas voulu m’y aventurer. Pourtant sur instance de mon entourage et de quelques amis de la profession, j’ai écrit un scénario qui est quelque peu différent du roman, et là je réponds un peu à votre précédente question, pour ce qui est de la période 1954/1962. Rendant hommage à la Révolution algérienne et pour son le 50e anniversaire, j’ai « fait partir Dahmane au maquis », fuyant de la prison. Ainsi, cette période, on la retrouvera explicitement dans le film qui sera réalisé bientôt, adapté de cette histoire. Là, j’ai évoqué cette période plus longuement. Mais l’essentiel de l’histoire d’amour demeure fidèle au roman. Sans changement notable.

Pour tous les lecteurs qui auront lu en premier Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra, ils ont cette impression qu’ils revoient le film en question, mais d’une autre façon. D’où viennent toutes ces autres étranges similitudes ? Qui a singé l’autre ? Vous ou lui ?

Vous employez le verbe « singer », c’est tellement différent des avis de celles et ceux qui ont réagi sur Internet ou dans les rares articles de presse qui ont évoqué le sujet. Je me suis jusqu’alors, très peu prononcé sur cette histoire. J’ai répondu à quelques personnes qui insistaient, que les similitudes dans les deux textes pouvaient être considérées comme de l’intertextualité probablement. Comment pourrais-je donc singer ou copier un autre auteur, alors que je ne fais que relater une histoire absolument vraie qui concerne ma propre famille ? Le faire ne serait que synonyme de travestir cette tangible réalité. Et puis, vous n’avez qu’à considérer l’antériorité de mon écrit pour deviner d’où vient le problème et qui en est responsable.

Et pourquoi ni vous-mêmes ni votre maison d’éditions ne vous êtes-vous donc malheureusement pas élevés contre cette osée manière de faire, pour le moins assez malhonnête ?

Pour ma part, et sur l’insistance des uns et des autres, j’ai répondu que c’était à mon éditeur d’éclaircir cette histoire quant aux nombreuses similitudes qui existent entre mon roman et celui que vous évoquez plus haut, dans la mesure où j’ai cédé mes droits, dès le départ, à ma maison d’édition. Donc, en tant que propriétaire des droits de ce roman, c’est à ma maison d’éditions de réagir (ou pas). Donc, il serait judicieux de se rapprocher de Dalimen éditions pour connaître la position de sa direction sur ces faits qui ont fait couler tellement d’encre des deux rivages de la Méditerranée, et même bien au-delà. Quant à moi, le fait que l’on ne cesse de parler si longuement de mon roman, et ce, depuis sa parution en 2004 jusqu’à ce jour encore, prouve que l’histoire a plu aux profanes et aux professionnels. Donc, que l’on reprenne une partie de cette histoire à d’autres fins, ne me dérange nullement lorsque l’éthique est respectée dans son intégralité. Au contraire, j’ai la satisfaction d’avoir « pondu » une belle histoire. Qu’elle soit « singée », c’est bien ! Moi, j’ai raconté la toute vraie. Celle que je connais parfaitement, sur le bout des doigts ou par cœur. En faire un film, une pièce théâtrale ou raconter l’histoire ici et là m’honorerait, dans la mesure où les droits moraux et autres, des uns et des autres, soient préservés. Tout le reste n’est, par contre, qu’une question de conscience. Ma conscience, à moi, est bien tranquille. La copie de la similitude est pourtant bien ailleurs. Pour preuve : mon roman est le premier arrivé sur le marché (en 2004). Et ça, ça veut tout dire. Tout autre écrit (postérieur à cette date, comme c’est le cas aujourd’hui) qui se rapproche de son histoire est donc objet de reproches, sujet à suspicion, sur le plan de l’éthique.

Propos recueillis par S. B., Algérie News

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